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reconnaîtra sa supériorité ; plus naturel, plus coloré, plus vif que le premier, il reste plus précis, plus expressif, plus puissant que le second, Champmartin (1797-1833) et Léon Cogniet (1794-1880), trop oubliés depuis, jouent à cette époque un rôle sérieux dans le mouvement : ils sont de ceux qui, à l’exemple de Géricault, veulent garder la belle tenue du dessin sous l’enveloppe d’une couleur plus chaude. Une seule toile de Champmartin, le Portrait en pied de Mme de Mirbel, en robe d’été, coiffée d’une capote rose, tenant des fleurs, dans un jardin, rappelle par la fraîcheur et la souplesse certaines peintures anglaises et donne envie de mieux connaître l’auteur, un jour célèbre, de la Révolte des janissaires. Léon Cogniet, dans l’atelier duquel se sont formés plus tard bon nombre de nos meilleurs, contemporains, fit preuve, dans sa jeunesse, d’une ardeur grave et d’une vivacité brillante. Son Saint Etienne portant des secours à une famille pauvre, de 1827, et sa Garde nationale de Paris partant pour l’armée en 1792, de 1836, nous montrent son talent sous un meilleur jour que son tableau célèbre, le Tintoret peignant sa fille morte, peinture sérieuse et émue, mais sourde et fatiguée, conçue avec moins de simplicité, exécutée avec moins de liberté que les précédentes. L’esquisse de Devéria pour sa Naissance d’Henri IV est, comme la plupart des esquisses romantiques, plus vive, plus brillante, plus séduisante que la peinture elle-même, dans laquelle s’exagère l’incorrection d’un dessin superficiel. En ce qui concerne Heim (1787-1865), le plus vaillant défenseur à ce moment de la conciliation entre les traditions académiques et les aspirations nouvelles, grand peintre d’histoire, admirable portraitiste, son exposition, composée de trois pièces curieuses comme réunions de personnages, mais d’une exécution rapide ou fatiguée, ne met pas à sa vraie place l’auteur du Massacre des Juifs (1824), du Martyre de saint Hippolyte, de la Distribution des récompenses au Salon de 1824. Par cette dernière œuvre, si vivante, si franche, si naturelle, Heim est un des pères de l’école contemporaine.

Ingres et Delacroix se retrouvent là, vis-à-vis l’un de l’autre, comme on les a toujours vus, aux deux pôles extrêmes de leur art, chacun représentant avec une conviction égale et une égale autorité le maximum de ce que peut donner la peinture limitée à l’expression plastique par le dessin ou limitée à l’expression dramatique par la couleur. L’absolutisme et l’opiniâtreté de ces deux maîtres en ont fait les agens les plus actifs de l’évolution moderne. On ne se prend pas, sans terreur, à penser combien rapide eût été la chute de l’école, si elle avait été entraînée, sans contrepoids, par l’ascendant unique de l’un d’eux, et surtout par celui de Delacroix,