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admiration ; il voulait acquérir leur science, mais il voulait s’en servir plus simplement et plus humainement, il voulait surtout y ajouter les qualités de rendu, la chaleur d’expression, la nouveauté de sentiment, qu’ils avaient systématiquement dédaignées. Depuis les beaux temps de la renaissance, personne n’a embrassé d’un œil plus mâle et plus ferme le champ entier de la peinture que cet ardent, fier et mélancolique jeune homme, enragé de mouvement, de travail, de plaisir, si modeste vis-à-vis de lui-même, si respectueux pour ses maîtres, si bienveillant pour ses camarades qui meurt à trente-trois ans au milieu de ses chefs-d’œuvre dédaignés. Ses amis ne se trompaient pas en considérant sa disparition comme une calamité irréparable ; quel qu’ait été, en effet, le talent de ceux qui continuèrent son œuvre, aucun ne la reprit au point où il l’avait laissée. Après sa mort, presque tous les romantiques, enivrés de littérature, épris de curiosités, visant la passion, le drame, l’effet à tout prix, négligèrent tous, plus ou moins, tout le côté solide et indispensable de l’art, l’étude de la nature et l’étude du dessin, pour ne songer qu’à l’éclat des tons, à la vivacité des allures, à la bizarrerie des accessoires. La recherche attentive et scrupuleuse de la vérité dans la figure humaine et même dans les objets matériels, telle que nous la comprenons aujourd’hui, tient d’abord peu de place dans leurs préoccupations. L’étude du nu est fort négligée. La plupart sont incapables de faire de bons portraits. Les jeunes paysagistes, il est vrai, qui entrent en scène à la même époque, avec Xavier Le Prince, Bonington et Paul Huet, ne s’égarent pas longtemps dans ces exagérations, mais il faudra du temps avant qu’ils n’exercent leur action salutaire sur les peintres d’histoire et les peintres de genre.

Ce qui fera plus vite comprendre à quelques-uns leur erreur, c’est la résistance obstinée de l’école classique qui, heureusement, refusait de se rendre et qui, à chaque Salon, opposait combattant à combattant, et, souvent, victoire à victoire. Parmi ces obstinés. il en était un surtout, qu’on connaissait à peine, parce qu’il vivait au loin, en Italie, pauvre et solitaire, mais dont le nom reparaissait à chaque Salon sous des peintures d’un aspect archaïque, singulier, inoubliable, qui semblaient un véritable défi jeté aux novateurs, Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1807). Cet élève indépendant de David avait été l’un des premiers à traiter, avec un sentiment naïf et profond de ce que les romantiques appelaient « couleur locale, » ces sujets anecdotiques qui allaient fournir un si vaste champ à leur activité. C’est au Salon de 1814 qu’on avait vu son Raphaël et la Formarina, avec son Intérieur de la chapelle