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qui convient le moins à ses goûts austères, le brillant des dorures, la splendeur des velours, le chatoiement des soies, c’est la conscience avec laquelle il évite de se jeter à côté de son sujet. Il n’y a peut-être pas de grande page historique où l’on puisse louer une telle absence de hors-d’œuvre, de superfétations, de caprices personnels. Si David n’est pas un virtuose de couleur, c’est un virtuose de style, et il doit se tenir à quatre pour ne pas donner à quelques-uns de ces courtisans empanachés des allures plus romaines ! Mais, en définitive, le respect de la vérité l’emporte. On a bien fait de donner au Couronnement la place d’honneur ; nos réalistes bruyans y peuvent voir qu’on aimait la réalité avant eux, ils y peuvent apprendre que la science n’est pas inutile pour la représenter. Si David avait moins étudié les torses nus et les marbres antiques pour fabriquer des héros grecs et romains, il est probable qu’il n’eût exécuté, d’une main si virile, ni le Couronnement ni Madame Récamier.

Si l’on ne voyait que le Couronnement, on ne s’expliquerait pas la nécessité d’une révolution contre l’autorité de David ni la violence avec laquelle cette révolution devait être conduite. Pour en comprendre la légitimité, il faut se reporter aux doctrines mêmes de David et surtout aux effets désastreux produits par ces doctrines chez ses élèves et chez ses imitateurs. On a jugé inutile de nous montrer ce qu’était devenu le style héroïque entre les mains de ces froids praticiens. On a supposé que les immenses machines tragiques de Guillon-Lethière, les académies contournées et gonflées de Girodet-Trioson, les nudités froides et lisses de Gérard, pour instructives qu’elles pussent être, offriraient trop peu d’agrément au public. Peut-être a-t-on eu raison, bien que la foule, moins sensible que les spécialistes, artistes ou amateurs, aux modifications incessantes des théories et des procèdes, ne rechigne jamais contre son plaisir et le prenne partout où elle le trouve, gardant toujours une naïve et juste indulgence pour les sujets bien présentés et pour les figures nettement expressives. De Girodet, deux portraits, sérieux et exacts, comme tout ce qui sort de l’école, le Comte de Rumford et M. Bourgeon. De Gérard, « le peintre des rois, le roi des peintres, » aucune composition mythologique ni -historique, un beau portrait seulement, celui de Madame Récamier, assise, après le bain, épaules nues, pieds nus, enveloppée dans une tunique blanche, collante et presque transparente, un châle jaune sur ses genoux, portrait fort intéressant à comparer avec celui de David. La professional beauty, chez Gérard, est présentée avec plus de grâce, de ménagemens, d’élégance. David, lui, moins assoupli aux concessions mondaines, est plus bourru dans sa franchise. Mais quelle