Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/523

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

proportions, ni os, ni muscles, à peine des carnations, lorsque le pinceau s’en mêle, et quelles carnations ! Molles, flasques, jaunâtres ; et tout cela fuyant, coulant, disparaissant dans les évanouissemens douceâtres d’une harmonie artificielle qui laisse autant d’énervement dans les yeux que de vide dans l’esprit !

Le Pacha et les Guignols, comme toutes les peintures exposées, sont postérieures à 1789. Ce sont des ouvrages de la vieillesse de Fragonard, qui mourut en 1806. Le maître s’était montré naguère plus vif et plus brillant, et, si le fond de son talent n’avait jamais été bien solide, il en avait presque toujours sauvé les apparences, grâce à l’esprit de sa touche imprévue, souple et amusante. Ce n’était pas pour rien qu’il avait tant aimé Tiepolo ; il lui en était resté quelque chose. La génération qui suivit, celle qui se trouva perdue entre la décadence de Boucher et l’avènement de David, celle qui opère dans les dernières années de Louis XVI et pendant la révolution, devait souffrir d’une éducation pire encore. L’abus qu’on avait fait du décor la jeta dans le mépris de la peinture elle-même. À ce moment commence à se manifester, même chez les portraitistes, les plus fidèles pourtant de tous aux bonnes traditions, une indifférence singulière pour l’éclat, la consistance, l’harmonie des couleurs, un affaiblissement pitoyable dans le rendu et dans l’effet. L’indigence pittoresque atteint sa limite extrême chez ces petits-maîtres spirituels qui étudient avec tant d’ingéniosité et souvent de si fines observations les mœurs, à la ville ou à la campagne, sous la république. Si le Houdon dans son atelier et les Trois enfans jouant au soldat de Boilly sont intéressans par l’exactitude des personnages et des accessoires, combien l’aspect en est sec et glacial ! Il faudra du temps à cet infatigable producteur pour qu’il apprenne à réchauffer quelque peu ses bonshommes en porcelaine. C’est bien à cette peinture proprette et lisse qu’on pourrait appliquer le mot un peu dur de Gros devant la Didon de Pierre Guérin : « Si j’entrais là dedans, je casserais tout ! » Dans le Coin du café de Foy en 1824 Boilly devient plus sensible à l’harmonie, comprenant Metzu après avoir trop fréquenté Mieris. Il lui faut rendre cette justice que, dans le portrait, même auparavant, il avait eu des rencontres heureuses ; il lui avait suffi, comme à tant d’autres, de se mettre en contact direct avec la vie, pour être vivifié et animé. L’aimable Lucile Desmoulins avait opéré un de ces miracles ; c’est une image plaisante, fine, expressive, malgré des restes de froideur dans la facture. Cette froideur, à ce moment, se retrouve chez presque tous les portraitistes en vogue. Mme Vigée-Lebrun n’y échappe pas dans son groupe, assez brillant d’apparence, mais au fond peu solide, d’une touche sèche et dure, la Jeune mère et son