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sortis. Si l’on se reporte plus loin encore, aux grands concours internationaux de 1878, de 1873, de 1867, de 1855, on y constate, depuis près d’un demi-siècle, dans la répartition des récompenses, la même inégalité en notre faveur, et, pour peu qu’on ait parcouru les musées d’Europe, on n’est pas éloigné de croire que, pour la période antérieure, la même comparaison eût donné les mêmes résultats, tant l’influence de l’école française, depuis la révolution, s’est fortement marquée dans tous les pays, sauf en Angleterre !

Quelles sont les causes d’une suprématie conservée avec une telle persistance, à travers toutes les perturbations politiques et sociales, en dehors de toute fixité d’idéal, au milieu d’une instabilité presque incessante des doctrines et des théories ? Où en étions-nous lorsque nous avons commencé d’exercer cette domination sur les fantaisies ? Où en sommes-nous, aujourd’hui, après une si longue pratique de la souveraineté ? Quelles chances nous reste-t-il de la conserver ? Parmi les innombrables questions d’esthétique et de critique que peut soulever une visite au Palais des Beaux-Arts, en voilà quelques-unes qui présentent, ce semble, pour notre pays, un plus grave intérêt qu’un intérêt de curiosité et que chacun s’adresse, plus ou moins, à lui-même en passant. Les organisateurs de l’Exposition semblent les avoir prévues et s’être efforcés d’y répondre en installant, auprès de l’Exposition décennale, une exposition, complémentaire et rétrospective, des chefs-d’œuvre de la peinture nationale depuis 1789 jusqu’à 1878. Des collections de ce genre sont toujours extrêmement difficiles à former, quel que soit le zèle qu’on y apporte ; il y reste toujours, dans les séries, des lacunes plus ou moins regrettables. Dans l’espèce, il est surtout fâcheux que les organisateurs n’aient pas eu à leur disposition des locaux mieux appropriés. La coupole centrale, sous laquelle sont suspendues, le long de trop vastes parois, la plupart des grandes toiles, leur déverse d’en haut, à travers des complications de reflets multicolores, une lumière inégale et désordonnée qui ne leur est nullement favorable. D’autre part, la dispersion et l’exiguïté des annexes n’ont point permis d’y suivre, pour la disposition des documens, un ordre nettement chronologique, le seul ordre utile et instructif on pareil cas. On éprouve donc quelque peine à se reconnaître dans cet intéressant pêle-mêle ; mais, pour peu que l’on aime la peinture, on se trouve vite et largement payé. La génération actuelle, qui n’a point assisté au merveilleux spectacle de l’avenue Montaigne en 1855, trouve là une occasion inattendue de saisir les liens qui rattachent l’art du présent à l’art du passé, et de comprendre par quelle suite de laborieux efforts et de luttes passionnées la génération qui l’a précédée a conquis et assuré aux peintres modernes une liberté sans précédens qui ne-peut désormais périr