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un discours de la reine que le lord chancelier, suivant les vieux rites, est allé lire au parlement déjà presque désert et qui n’est après tout que le plus banal des résumés, une sorte de mémorandum assez terne des principaux travaux des chambres, des transactions que le gouvernement a eu l’occasion de signer pour régler des intérêts secondaires. Des questions plus sérieuses ou plus délicates qui peuvent émouvoir ou intéresser l’opinion en Angleterre comme dans les autres pays de l’Europe, il n’est pas dit un mot. Avec un peu de bonne volonté, c’est tout au plus si on pourrait remarquer le silence gardé probablement avec quelque intention sur le récent voyage de l’empereur Guillaume à Osborne. La reine Victoria n’a pas fait confidence du secret des conversations d’Osborne à son parlement. Elle s’est prudemment abstenue de toute révélation, même de toute allusion en congédiant les représentans de la Grande-Bretagne et en les recommandant, pour leurs vacances, « à la miséricordieuse bonté du Tout-Puissant. » A dire vrai, ce n’est pas le discours de la reine qui donnera des renseignemens bien précis sur la politique extérieure de l’Angleterre et son accession à la triple alliance, ni même sur ses affaires intérieures. La souveraine a parlé, elle a rempli son rôle ; les affaires restent ce qu’elles sont, et cette session qui finit, en suspendant pour quelques mois la lutte des partis dans le parlement, laisse le ministère aux prises avec une situation où les difficultés ne manquent pas, où il y a des grèves comme celle qui agite en ce moment Londres, où les affaires d’Irlande restent aussi une cause perpétuelle d’embarras et de préoccupations.

Au fond, le ministère de lord Salisbury est peut-être le premier à ne pas trop s’y méprendre et à ne point se faire illusion ; il sent bien que là est pour lui le danger, que tout ce qu’il fait pour apaiser ou désarmer l’agitation irlandaise ne sert presque à rien, qu’il est pour ainsi dire le prisonnier de cette terrible question. Aussi est-il sans cesse à la recherche de quelque expédient nouveau, passant tour à tour de la répression à des apparences de conciliation pour sortir d’embarras. Il fait des essais, — et, faute de mieux, il a imaginé récemment de couronner la session qui vient de finir par une sorte de coup de théâtre, par une déclaration qui pourrait toucher les Irlandais, si elle n’était pas tout simplement un calcul de stratégie parlementaire. Un des derniers jours de la session, comme on interrogeait le gouvernement sur l’état de l’instruction publique dans l’île sœur, le secrétaire d’état pour l’Irlande, M. Balfour, un des plus hardis et des plus habiles exécuteurs des lois de coercition, a ouvert tout à coup d’un mot des perspectives nouvelles ; il a laissé entrevoir la possibilité de la création d’une université catholique à Dublin. Ce serait du coup plus que n’a fait, il y a quelque vingt ans, M. Gladstone, en essayant de donner satisfaction aux Irlandais par un système d’université mixte qui n’a point réussi. Cette concession, qui a été une surprise pour les adversaires comme