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l’opinion déconcertée en face de l’inconnu. Si après cela on prétend dire d’avance ce qui en sortira, c’est qu’on se promet d’avoir la main sur le scrutin ; mais il y a une raison supérieure, dominante, bien autrement grave, qui fait qu’on ne peut rien prévoir, que le résultat reste incertain jusqu’au dernier moment : c’est qu’en dépit des grands mots, des manifestes et des efforts qu’on tente pour mettre quelque clarté dans cette prodigieuse mêlée, les partis sont lancés à outrance, sans savoir où ils vont, sans être maîtres d’eux-mêmes, perdus et entraînés dans la plus dangereuse des équivoques. C’est jusqu’à un certain point, si l’on veut, un des effets de cette malfaisante aventure Boulanger d’avoir contribué à tout obscurcir, d’avoir altéré toutes les conditions des luttes publiques et précipité tous les partis dans ce gâchis, dans cette crise de confusion où ils se débattent aujourd’hui. Les républicains accusent les conservateurs, les conservateurs accusent les républicains : ils sont, au demeurant, les uns et les autres, quoique à des degrés divers, dans une situation fausse, et c’est précisément ce qui fait jusqu’ici de ce scrutin de dimanche une indéchiffrable énigme.

Où donc est la vérité dans cette étrange cohue de candidatures et de programmes ? Les républicains qui sont aujourd’hui au pouvoir et qui s’y attachent avec une énergie désespérée, croient peut-être tout simplifier et gagner le pays à leur cause en élevant le drapeau de la république et de la constitution, en s’efforçant de rallier les forces incohérentes de leur parti pour les pousser au scrutin. En réalité ils ne simplifient rien ; ils sont, plus que tous les autres, dans cette situation fausse qu’ils se sont créée eux-mêmes, dont ils sont les premiers responsables, — d’où est sortie après tout cette fortune ennemie qu’ils combattent à l’heure qu’il est par tous les moyens. Ils subissent les conséquences de leurs aveuglemens et de leurs imprévoyances, de leurs préjugés de parti, de l’obstination vulgaire avec laquelle ils se sont toujours refusés à tenir compte des vœux du pays, des sentimens les plus modérés, des avertissemens les plus significatifs, de ces mécontentemens croissans qui ont fini par éclater en se redressant contre leur domination. Assurément, parmi ceux qui peuvent passer pour les candidats officiels de la république, parmi les opportunistes, il y en a qui, depuis quelques années, ont senti la nécessité de s’arrêter, de mettre un frein aux prodigalités financières, d’apaiser les croyances offensées, de rentrer, en un mot, dans l’ordre. Ils ont paru comprendre plus d’une fois que le moment était venu de se dégager de toute solidarité avec le radicalisme, de chercher un appui et une force dans les instincts conservateurs de la France. Ils l’ont compris et senti peut-être, ils ont eu par instans l’air de le dire ; ils n’ont jamais osé se décider sérieusement, même quand les occasions les plus favorables leur ont été offertes depuis les élections de 1885. Ils ont toujours eu peur, s’il faut tout dire, de se voir accusés d’être de simples