Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/464

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le bouddhisme dans l’Indo-Chine ; il m’a permis d’y faire quelques emprunts. J’hésite à introduire le lecteur dans le sanctuaire des bonzes ; je crains de ne pouvoir plus m’en arracher, tant il passionne l’esprit en lui ouvrant des horizons vastes et nouveaux.

Une église catholique d’Italie ou d’Espagne, très ornée de statues de saints, et dont la décoration, la peinture, la sculpture auraient été confiées par hasard à des ouvriers annamites : telle est la pagode d’Hanoï. Des tableaux de toile peinte sont accrochés aux boiseries ; ils offrent des représentations de l’enfer et du jugement analogues aux fresques du moyen âge. Sur le devant de l’autel, le rituel des prières, des offrandes de fruits, des lampes allumées, des baguettes d’encens fumantes, le tison de bois d’aigle qui entretient le feu perpétuel ; sur les gradins supérieurs de cet autel, les statues dorées du Bouddha, dans les attitudes consacrées pour les diverses incarnations de la figure divine ; les images de Kouanin, la vierge miséricordieuse, et d’Ananda, le disciple préféré. — Descendue de la Chine au Tonkin et dans l’Annam, la pure doctrine hindoue est arrivée dans la péninsule très matérialisée, très mêlée de superstitions païennes, de formules magiques ; le taoïsme s’est taillé une large place dans le panthéon bouddhique. Aussi voit-on sur les côtés du temple les effigies de quelques empereurs divinisés, entre autres le Maître du Ciel, l’Empereur de jade, qui habite dans la Grande-Ourse ; ses deux subordonnés l’accompagnent, le génie stellaire qui préside aux naissances et celui qui préside à la mort.

L’office commence, les bonzes montent à l’autel. On retrouve sur leurs traits ce caractère indélébile que l’état ecclésiastique imprime dans tout pays à la figure humaine. Ce sont, me dit mon guide, des gens convaincus, de bonne vie et mœurs. L’officiant et ses deux acolytes portent des coiffures d’étoile en forme de couronnes ; ils viennent de revêtir des chapes de soie jaune, pareilles à celles de nos prêtres. L’officiant tient dans ses mains jointes un rosaire et une fleur de lotus ; en priant, il dirige la fleur vers le dieu. Il se prosterne, récite des litanies et des oraisons, avec une gravité recueillie ; les acolytes lui donnent les répons, en frappant sur de petits gongs de bois et de métal. Les bonzes nouent de cent façons leurs doigts entrecroisés ; ils figurent ainsi les gestes sacramentels du Bouddha, signes allégoriques des révolutions zodiacales, de la succession des jours et des nuits. De temps à autre, le clergé marche processionnellement autour de l’autel ; revenus dans le chœur, les prêtres forment une chaîne aux évolutions rapides ; leurs pas dessinent alors sur la natte une figure géométrique, toujours la même ; c’est le taiki, le signe de la formule où les Chinois ont enfermé tout le sens des choses divines et des choses humaines. Le