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Schah de Perse et des princes de Tunis… Et les industries bizarres : à côté des Aïssaouas, qui accomplissent leurs mômeries sans se douter que nous avons beaucoup mieux à la Salpêtrière, un Syrien débite, au « Souvenir de Jérusalem, » ces boîtes d’olivier où le saint-sépulcre alterne avec la tour Eiffel, une indigène de Paris vend dans un kiosque la « Crème des Croisades. » — Avec la simple énumération de ces peuples contrastés, on remplirait à peu de frais des pages pittoresques, si nous ressentions encore pour ces nomenclatures la passion de nos prédécesseurs romantiques. Un seul homme, qui n’est plus là, aurait eu la main assez puissante pour jeter sur quelque fresque interminable cette assemblée des nations ; elle eût suggéré à Victor Hugo la légende de l’espace après celle du temps, des Orientales épandues sur tout le globe ; son œil de cyclope aurait absorbé l’immensité du spectacle, son à-peu-près de couleur locale eût parfaitement convenu à ce qu’il y a de factice dans cette exhibition.

Les gens d’aujourd’hui, moins amoureux de sonorités et plus curieux du fond des choses, donneraient très cher pour savoir ce qui se passe dans ces têtes si différemment organisées. C’est une divination difficile. Pour la plupart de nos hôtes, on s’abuserait en espérant qu’ils s’en iront émerveillés de notre grandeur, illuminés par nos idées ; c’est là un thème qu’il faut laisser aux amplifications des toasts officiels. Au dire des hommes versés dans la connaissance de l’extrême Asie, nos Annamites apportent ici les dispositions de grands enfans ; amusés par les objets nouveaux qu’ils voient, ils sont incapables d’arrêter leur réflexion sur ces objets ; égarés par les mensonges inconsciens de leur imagination, aveuglés par un préjugé national pareil à celui des Célestes, on les entendra, une fois rentrés chez eux, travestir dans leurs récits tout ce qu’ils décriront ; et ils refuseront d’avouer celles de leurs impressions qui nous seraient favorables. Quant aux Arabes et autres musulmans, une longue pratique de ces races laisse peu de doutes sur leur façon de voir ; la vision de notre monde s’arrête au bord de leur prunelle, pour ainsi dire, elle ne pénètre jamais jusqu’à leur âme ; ils repartiront avec un profond mépris pour nos mœurs, avec la crainte résignée de notre force, avec l’espoir indestructible qu’ils en appelleront un jour. Fréquemment, dans les bazars de l’Esplanade, un Egyptien vient s’asseoir sur le rebord d’une boutique de Tunis, un Touareg fraternise avec un Algérien ; la franc-maçonnerie de l’Islam rapproche ces inconnus ; je ne répondrais pas qu’au cours de ces entretiens, en plein cœur de Paris, sous nos lampes électriques, les affiliés des Senoussi n’aient point conquis des adeptes et préparé des centres de propagande.

Il est plus aisé d’observer les impressions de nos concitoyens, au