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le hongrois, le roumain, l’hébreu tout d’abord. Un fantaisiste ajouta le malais. Dus lors, il dut y avoir entre les élèves de l’Ecole des langues orientales et les auditeurs du Collège de France une émulation pour proposer de la copie épigraphique. Chaque jour apporta un nouvel idiome, flamand ou Scandinave, et des caractères mystérieux, de l’arabe, du sanscrit, du chinois, du japonais. On apposa le grec pour l’arrivée du roi des Hellènes, le persan pour l’arrivée du Schah. Une belle affiche latine vint la dernière. Nous sommes aujourd’hui à vingt langues ; et ce n’est pas la fin, espérons-le ; on ira jusqu’au chiffre qui fit la gloire de Mezzofanti. Les myopes non prévenus pourraient croire que ce bariolage des murailles est un effet de la période électorale, puisqu’on y lit partout la même chose sur des papiers de différentes couleurs ; mais dans le vestibule de Babel, les placards ont cette supériorité qu’ils donnent des conseils utiles et qu’ils amusent agréablement l’esprit.

Les Invalides ! Tout le monde descend ! — Il ne pense pas si bien dire, le brave employé ; blanc, noir, jaune, le monde entier, ou peu s’en faut, est descendu sur cette aire. Nos architectes ont rivalisé de science et de goût pour que chacun des groupes exotiques y retrouvât un coin de patrie ; ils ont bâti une ville chimérique, disparate, telle qu’il s’en ébauche dans les rêves d’un voyageur avec ses souvenirs confondus ; l’ensemble amuse le regard, chaque détail l’intéresse, et l’on regrette en sortant de là qu’un peu de cette fantaisie n’ait pas présidé à l’alignement des mornes demeures où l’on nous caserne aujourd’hui. L’ordonnance du quartier arabe est particulièrement heureuse : le marabout de Sidi-Abd-er-Rahman, les galeries algériennes, le soukh tunisien, le patio du palais de la régence, les jardins enclos entre ces édicules, tout cela est charmant. Par ces matins embrumés de septembre, les blancheurs confuses des murailles moresques émergent seules au premier plan, dominées par le minaret du marabout qui s’enlève sur la verdure dans le clair soleil ; les marchands du Soukh s’installent et s’appellent, d’une boutique à l’autre ; à cette heure matinale, on n’aperçoit aux alentours que des burnous gravement portés, des femmes enveloppées qui regagnent rapidement les grandes tentes, des petits Kabyles s’échappant à demi nus de leurs tanières. Pour peu que l’imagination se replie sur le souvenir, une illusion facile lui montre là quelque éveil de bourgade arabe, sur les côtes d’Afrique ou de Syrie ; et la mémoire retrouve l’une après l’autre les images des villes blanches qui se levaient au bord des rades, elle égrène lentement le chapelet de perles pâlies. — Le soir est plus favorable encore à ces voyages de pensée ; il l’était surtout durant les premiers jours de l’Exposition, quand la foule