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plus probable que, si les premières compositions de Beethoven attestent un goût marqué du contrepoint, elles prouvent aussi une connaissance très insuffisante des règles de ce contrepoint. Les fautes abondent, non-seulement dans la fugue à deux voix écrite à douze ans, et qui débute (dès la cinquième mesure) par une quarte impardonnable, mais aussi dans l’octette op. 103 et les Variations sur l’ariette de Righini, deux ouvrages composés dans la dernière année du séjour à Bonn. Haydn, lorsqu’il vit Beethoven à Vienne, en 1792, jugea qu’il avait tout à apprendre[1]. Son maître Neefe lui avait donné l’amour d’une science qu’il lui enseignait comme à contre-cœur et sans la moindre rigueur technique.

Mais il est un point plus important par où Neefe a exercé sur son élève une influence salutaire et durable. S’il ne lui a pas appris les règles de son art, il lui en a clairement révélé la nature et le but. Il a avoué lui-même, dans un de ses écrits, « qu’il avait toujours mis au-dessus des ouvrages techniques et formels ceux où l’art était rattaché à son fondement psychologique. » Il disait ailleurs « que le génie ne doit jamais être opprimé sous les règles, surtout lorsqu’il puise aux sources de l’émotion intérieure. » Enfin, il se vantait de ne jamais mettre de la musique sur un poème avant de l’avoir pénétré à fond, appris par cœur, soigneusement déclamé et prosodie. On peut se figurer dès lors les principes esthétiques qu’il enseignait et qui, cette fois, ne manquaient pas de séduire son jeune élève, étant l’expression du plus intime besoin de son âme. Il lui disait que la musique doit avoir pour but, non point de prouver la science ni l’adresse du musicien, et point seulement non plus de flatter agréablement l’oreille ; mais qu’elle était destinée à traduire les sentimens, comme la parole les idées. Cette conception de la musique a toujours existé plus ou moins nettement, dans l’esprit des grands musiciens. Depuis les Grecs, qui affectaient à chaque ordre d’émotion un mode particulier, jusqu’à Gluck, qui essayait de faire des expressions musicales un véritable vocabulaire, tous avaient pris pour mesure de la valeur de leurs ouvrages le degré de sentiment qui s’y trouvait traduit. Mais, chez la plupart des prédécesseurs et des contemporains de Beethoven, cette notion s’était obscurcie et s’était vue sacrifiée, dans la pratique, au désir d’amuser un auditoire d’amateurs, Neefe, comme on a pu en juger, se rendait, un compte plus précis de la destination de son art, et Beethoven a dû trouver chez lui la confirmation de son penchant naturel à faire une musique tout expressive, uniquement

  1. Le compositeur Schenk, qui connut Beethoven en 1792, à Vienne, le trouva « très inexpérimenté dans l’harmonie. »