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III

Van der Eeden, qui, en 1780, fut chargé, ou plutôt se chargea d’apprendre l’orgue au petit Louis, était un digne bourgeois flamand, organiste très habile. Il donna à son élève d’excellens conseils, lui apprit à se tenir droit devant son instrument, à garder ses mains en repos pendant que travaillaient les doigts. Le père, d’autre part, ne cessait d’encourager son fils à profiter de cette étude nouvelle : il espérait que, à défaut d’une brillante carrière de pianiste, le jeune homme obtiendrait un jour la succession, ou tout au moins la suppléance, de l’organiste de la cour.

L’enseignement de van der Eeden eut d’ailleurs des résultats très heureux pour le développement artistique de Beethoven. C’était la première fois qu’il avait affaire à un maître affectueux, attentif, préoccupé de l’art plus que du métier. Et puis de quel prix dut être ce premier contact avec l’orgue, pour un enfant impatient d’improviser, de donner une forme musicale à ses naïfs sentimens ! Sous l’influence de l’orgue, des œuvres qu’il y entendait et jouait, Beethoven se sentit plus vivement porté à la composition. On raconte qu’à la mort d’un consul anglais qui avait rendu maints services à ses parens, il présenta au maître de chapelle Luchesi une cantate funèbre qu’il avait écrite pour la circonstance. Luchesi la lut, mais il avoua à l’enfant qu’il n’y avait rien compris, et qu’il était par suite hors d’état d’en corriger les fautes.

Arriva-t-il à van der Eeden de complimenter Jean van Beethoven sur les rapides progrès et le génie naissant de son fils ? Toujours est-il que, en 1781, Beethoven reçut l’ordre de commencer sa carrière d’enfant prodige. Il fut envoyé en Belgique et en Hollande, avec sa mère : il donna des concerts, joua dans les salons, et revint à Bonn quelques mois après, sans rapporter assez de gloire pour encourager beaucoup son père à lui faire continuer ces tournées. Le seul résultat de ce voyage en Hollande fut le rajeunissement de l’enfant : il était petit, et avait un air souffreteux qui n’indiquait aucun âge précis. Son père résolut de lui ôter d’abord un an, puis deux. Il le fit présenter en Hollande comme âgé de dix ans, alors qu’il en avait onze : et c’est encore dix ans qu’il fit mettre sur le premier morceau publié par son fils, alors que celui-ci allait en avoir douze. Dès ce moment, toutes les indications d’âge