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II

On sait relativement peu de chose des premières années de Beethoven. Dans la sombre maison de la Bonngasse où il était né, il reçut les soins dévoués de sa mère, qui, un an auparavant, avait perdu son premier enfant, et qui ne devait jamais cesser d’avoir pour son Louis une préférence passionnée. Jusqu’à sa troisième année, l’enfant fut encore choyé par son grand-père, le maître de chapelle, qui demeurait dans la même rue. Souvent on voyait le vieillard promener son petit-fils à travers les rues de la ville, vêtu d’un beau manteau rouge et la perruque bien poudrée.

La mort du vieux Louis, en 1773, fut pour la famille un coup terrible. Jean se trouvait réduit à sa petite pension de chanteur et au faible produit de quelques leçons. Il reprenait ses anciennes habitudes de cabaret, laissant à sa pauvre femme, enceinte de nouveau, tous les soucis du ménage. Pendant l’année qui suivit, l’enfant vécut en tête-à-tête avec sa mère. Il l’écoutait raconter les souvenirs de sa jeunesse, les voyages qu’elle avait faits jadis avec la cour de l’électeur de Trêves, ou bien la belle vie et les hautes vertus de l’aïeul vénéré. Il apprenait d’elle les élémens de la religion catholique. Le soir la maison tout entière résonnait du bruit des violens et des clavecins ; au-dessus, au-dessous, en face des Beethoven, demeuraient des chanteurs, des professeurs de piano, des virtuoses. L’oreille du petit Louis s’imprégnait de musique et son cœur s’ouvrait avec une tendresse plus émue aux douces légendes et chansons du Rhin que sa mère lui redisait.

En 1774, la famille s’installait dans une maison sur le Dreieck, où Marie-Madeleine mettait au monde son fils Gaspard-Antoine ; et, en 1776, un nouveau déménagement transportait la famille Beethoven dans une maison de la Rheingasse, appartenant au boulanger Fischer. C’est là que naissait, la même année, un troisième fils, Nicolas-Jean.

Frappé sans doute des précoces dispositions de son aîné, le père décidait d’en faire un musicien. Il espérait que la protection de l’Électeur vaudrait bientôt à l’enfant un subside, ou quelque emploi bien rémunéré. Aussi, dès l’âge de cinq ans, Louis se mit-il, sous la direction de son père, à étudier simultanément le piano et le violon. Comme il était indispensable d’avancer très vite, on le forçait de passer tous les jours plusieurs heures consécutives à répéter de fastidieux exercices. Il avait beau pleurer, résister, se débattre : il lui fallait se mettre devant son instrument, avec défense de se relever avant que la leçon ne fût apprise. Il ne