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ma meilleure amie, » écrit Beethoven au lendemain de sa mort. Condamnée par le caractère de son mari à une existence de misère où elle s’était vite résignée, elle cachait, sous l’apparence tranquille de ses yeux bleus et de son pâle visage blond, une sensibilité profonde, un intense besoin de tendresse. Tout de suite elle s’était prise d’un affectueux respect pour le vieux maître de chapelle : c’est elle qui, longtemps après, racontait à son fils préféré, Louis, les talens et les vertus du défunt grand-père.

Tels sont les parens de Beethoven, ceux qui ont pu transmettre à l’enfant quelque chose d’eux-mêmes. Essayons de définir ce qu’il a dû à chacun d’eux, ou plutôt de noter, à leur occasion, ce qu’il y a eu d’inné et de permanent dans sa nature intime.

Tout d’abord, il faut éliminer le père, Jean van Beethoven. Pas un trait de l’âme du fils ne saurait lui être attribué. On ne retrouve chez Louis aucune trace de ses défauts : ni de son incapacité pour l’étude et de son dégoût pour le travail, ni de son penchant à la boisson, ni de son amour de l’argent facilement gagné. Et pas davantage que la nature, l’éducation n’a rapproché ces deux âmes dissemblables. Contre l’exemple de Jean, l’enfant a été gardé par la maturité précoce de sa raison, par l’exemple de sa mère, par le souvenir vivant de son grand-père. Au moral aussi bien qu’au physique, la différence est absolue : Jean a été seulement l’intermédiaire par lequel est venu à son fils quelque chose de la nature physique et morale de l’aïeul, du vieux maître de chapelle flamand.

L’influence héréditaire exercée par celui-ci est au contraire incontestable. Beethoven lui a dû Le fond de son âme, de même qu’il a hérité de lui cette structure massive et nerveuse du corps, ces traits accentués, ces yeux mobiles et maints autres détails de physionomie que le père n’avait pas et que nous fait voir un portrait du vieux Louis.

La ressemblance de Beethoven avec son grand-père nous amène tout d’abord à penser que Beethoven n’a pas été un pur Allemand comme les autres compositeurs de son pays : il avait en lui une forte dose de sang flamand. Et, de fait, lorsque l’on entre dans l’étude de sa vie et de son œuvre, il est impossible de le tenir pour un Allemand. Wagner[1] a bien pu dire qu’il avait « exprimé dans son art l’essence de l’âme allemande, » et nous l’admettons volontiers avec lui. Mais si Beethoven a dû à l’Allemagne son sentiment, la

  1. Wagner ; qui n’a point cessé toute sa vie d’étudier les compositions de Beethoven, a écrit sur lui, en 1870, au livre malheureusement trop général, le seul pourtant où nous ayons rencontré une appréciation sérieuse et approfondie. Le rôle de Beethoven, d’après Wagner, aura été de consacrer toutes les formes musicales en les imprégnant du génie de la musique.