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la grosse farce. Voyez ses précieux inventer des tours de rapin, et sur les lèvres de ses Célimènes fleurir des trivialités dignes de Régnier. Voyez les Turlupins : ce sont les marquis de la jeune cour, dont l’esprit se débarbouille du précieux avec la bêtise énorme du calembour. Mme Panache, les poches pleines de potage et de sauce, fait la joie du grand roi, et la duchesse de Bourgogne joue à son chaste époux le bon tour de lui mettre une dame d’honneur dans son lit, pour s’amuser de la figure qu’il fera. Prenons-y garde : ni Boileau, ni Fénelon, ni La Bruyère ne nous donnent le ton ni le goût de leur temps en fait de plaisanterie. D’un bout à l’autre du siècle, à travers les variations des doctrines littéraires et la diversité des tempéramens individuels, le trait commun à tous les auteurs comiques, c’est la peinture large, colorée, l’outrance du type et du mot. Après Scarron, Cyrano, Desmarets, on a Montfleury, Poisson, Thomas Corneille. Même Molière, avec toute la supériorité de son génie, travaille souvent en ce genre : Sganarelle, Pourceaugnac, la Comtesse d’Escarbagnas, les Précieuses, maint caractère et mainte situation des grandes comédies sont des charges, qui expriment avec un relief saisissant des vérités profondes, mais ce sont des charges. Boileau, qui méprise le sac de Scapin et gronde Molière d’avoir fait grimacer ses figures, est-ce un comique fin ou discret qu’il nous donne, quand il veut faire rire ? Qu’est-ce que son repas ridicule, qu’est-ce que sa peinture du ménage Tardiou, sinon de franches caricatures hardiment enluminées ? Enfin Racine, le plus élégant, dit-on, et le plus poli des hommes de génie de ce temps-là, Voyez ce qu’il nous présente dans ses Plaideurs : une ganache de juge, des avocats grotesques, et les larmes des petits chiens orphelins.

Toutefois, pendant le cours du siècle, un progrès se fait, de la fantaisie à la vérité. D’abord les types de convention, les matamores, les parasites, disparaissent. Les situations de la vie réelle chassent de la scène l’intrigue accidentée et folle, à l’italienne. Puis l’extravagance déréglée des caricatures se réduit au grossissement grotesque, mais exactement proportionné, des caractères réels. Il en résulta une conséquence importante. Le public exigeait à la fois et la forte saveur de la plaisanterie et l’exacte vérité de la peinture. Comment concilier ces goûts en apparence contradictoires ? Le grand monde a ses ridicules ; mais ces ridicules sont fins plutôt que forts et risquent d’être déformés par l’exagération comique. Aussi Molière, qui fit un Misanthrope, revint-il sans cesse à la peinture des mœurs bourgeoises, où il encadra d’ordinaire ses caractères généraux. Les courtisans se plaignaient qu’il les occupât de M. et de Mme Jourdain, — le joli couple ! — et des démêlés de Philaminte avec Martine, une bourgeoise qui met à la porte sa