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ce qu’on en doit surtout retenir, c’est le parti-pris de toujours opposer aux formules rigides, aux subtilités dogmatiques, cette initiative intelligente et pratique qu’il résumait d’un mot : « Agir selon les circonstances. » Or les circonstances rejettent, par définition, tout formalisme préconçu ; elles s’adaptent à une situation présente, précise, et non abstraite ou conventionnelle. Cette situation, il faut l’envisager nettement.

La caractéristique des champs de bataille modernes, c’est l’étendue en profondeur de la zone des feux. Naguère il était possible de maintenir la cavalerie en arrière ou dans les intervalles mêmes des corps de combat, à 1,800 mètres de la ligne ennemie. Napoléon avait donc toujours ses escadrons sous la main, à portée de recevoir promptement ses ordres. Au besoin, il pouvait en personne les diriger, leur dicter le choix du moment. Aujourd’hui, la profondeur de la zone interdite à la cavalerie a doublé. La placer à moins de 4,000 mètres de la ligne de combat, dans l’axe des feux, ce serait la vouer inutilement à des pertes sérieuses, à une démoralisation inévitable. Avant d’avoir donné, elle serait matériellement et moralement affaiblie. Or, si l’on veut retirer de son apparition un effet décisif, il faut précieusement lui conserver toute sa cohésion et toute son énergie. On ne doit mettre en jeu un instrument aussi délicat et aussi puissant qu’au moment précis de son emploi. Alors on la jette impitoyablement dans la mêlée, on la précipite en plein danger ; on ne l’a ainsi ménagée que pour mieux, s’en servir ! — Telle était la manière de Napoléon.

Entre son procède et le procédé moderne, une différence a surgi. Écartée de l’axe prolongé des feux, la cavalerie, pour cela, ne changera pas de tactique ; elle changera de place. Comme autrefois, elle prendra part à la bataille, à l’événement, mais non plus par action directe, sur le front, — par action latérale, sur les flancs. Sans abandonner son rôle, elle le jouera d’après une méthode nouvelle et perfectionnée ; elle risquera moins et récoltera plus.

Ce changement en entraîne un autre. L’indépendance de la cavalerie s’est accrue en proportion des dimensions actuelles de son rôle. Elle ne doit plus attendre des ordres ; elle les recevrait trop tard. D’ailleurs, elle ne peut rester à la disposition des commandans d’armée ou de corps d’armée. Disséminée en arrière ou dans les intervalles, des lignes de combat, elle serait virtuellement paralysée, condamnée à succomber sans gloire ou à s’illustrer sans profit. Massée sur les flancs, elle échappe même à l’action du généralissime. Celui-ci, en effet, ne peut du regard embrasser l’étendue du théâtre de la lutte ; non plus le parcourir. Placé en arrière, en une position centrale, il se relie aux principaux acteurs par