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Napoléon, l’a exposé en termes d’une simplicité héroïque : « Il faut, disait-il au maréchal de Saint-Cyr, aborder l’ennemi avec le plus de moyens possibles. Après avoir engagé les corps les plus à proximité, on doit les laisser faire sans trop s’inquiéter de leurs bonnes ou de leurs mauvaises chances ; seulement il faut avoir bien soin de ne pas céder trop facilement aux demandes de secours de leurs chefs. » « Il ajoutait, écrit encore le maréchal, que ce n’est que vers la fin de la journée, quand il s’apercevait que l’ennemi avait mis en jeu la plus grande partie de ses moyens, qu’il ramassait ce qu’il avait pu conserver en réserve pour lancer sur le champ de bataille une forte masse d’infanterie, de cavalerie et d’artillerie, que, l’ennemi ne l’ayant pas prévu, il faisait ce qu’il appelait un événement, et que, par ce moyen, il avait toujours obtenu la victoire[1]. »

Ainsi, voilà l’éternel tableau résumé de main de maître ; le drame divisé en deux actes distincts et nets ; le premier, long, indéterminé : la lutte d’attente ; le second, bref, précis, formidable, — comme un coup de tonnerre terminal et foudroyant : — l’assaut.

Or, l’événement, Napoléon l’a dit, comporte l’emploi des trois armes. La cavalerie ne saurait y demeurer étrangère. Mieux que l’infanterie, elle peut produire ce quelque chose d’imprévu et de soudain qui frappe d’étonnement et de terreur ; mieux qu’elle encore, elle peut mettre à profit cette minute fugitive d’indécision et de flottement, qui est le signe à peine perceptible et comme le moment psychologique de l’assaut. A Iéna, à Wagram, à la Moskowa, ce maillet d’acier brisa les dernières résistances.

Mais si le principe est resté vrai, l’application exige des procédés nouveaux. Depuis le premier empire, l’armement s’est profondément transformé, imposant à la tactique, — qui en est la fonction, — des modifications appropriées. Là est le point de rupture et en même temps de raccordement avec la tradition napoléonienne.

Dans sa profonde connaissance du cœur humain, le grand capitaine puisa, en effet, quelques lumineux axiomes qui sont comme l’éternelle synthèse de tout l’art utilitaire. Placé entre deux époques essentiellement différentes, au terme de l’une, au seuil de l’autre, il résume le passé et ouvre l’avenir. Tous les ouvrages, toutes les études parus après lui, ne sont que l’analyse ou le commentaire des quelques idées simples et fortes qui se dégagent de ses actes, encore plus que de ses écrits. Même aujourd’hui, on ne saurait trouver une base où s’étayer plus solidement. Mais

  1. Mémoires du maréchal de Saint-Cyr.