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leurs mailles vigilantes. Encore faut-il, prête à intervenir au premier signal, une masse d’escadrons réunie sous un commandement unique, assez puissante pour jouer le rôle de protection ou de diversion, pour écarter ou renverser les obstacles, pour assurer à l’armée une marche régulière et libre.

Cette masse constituera la Cavalerie d’armée.

Dans cette guerre des nations, ce ne sont plus, en effet, des corps d’armée isolés qui marchent à l’ennemi. Ce sont de grandes armées tout entières, composées chacune de cinq à six corps, divisées sans doute en plusieurs colonnes, mais resserrées dans une zone restreinte, formant une unité cohérente et compacte. La force de cavalerie adjointe à ces armées doit être mesurée à leur importance et à leur but. Cependant notre règlement est à peu près muet sur la composition et le service de ce groupe spécial ; il se borne à donner quelques indications, assez obscures d’ailleurs, sur le rôle de la cavalerie de corps. Or le corps d’armée est une unité secondaire dans les effectifs modernes. Rarement il sera appelé à agir isolément. Ce n’est plus un tout, c’est un rouage. La conception d’ensemble fait donc défaut.

Le règlement allemand a été plus clairvoyant. En dehors et en arrière des divisions de cavalerie chargées de l’exploration générale, il prévoit un second groupe d’exploration, en quelque sorte particulière, auquel incombe la protection des colonnes : « En principe, dit-il, le moyen le plus certain d’assurer la sécurité d’une colonne, c’est d’avoir un service complet d’exploration. Par suite, on devra pousser en avant de l’avant-garde la masse de cavalerie affectée organiquement aux unités qui composent la colonne[1]. » Cette indication est sommaire, mais elle suffit. Sans préciser les chiffres, sans codifier un dispositif invariable, elle pose la règle essentielle : la concentration en une seule masse de toute la cavalerie affectée aux différentes unités organiques de la colonne. Nos adversaires ont donc entrevu et tracé à grands traits le rôle de la cavalerie d’armée. Et si, en France, nos règlemens n’en mentionnent pas le principe, ils sont déjà tenus d’en accepter l’application. Ce groupe spécial a fonctionné, en effet, aux grandes manœuvres du 9e corps d’armée en 1887, du 3e corps en 1888, du 6e corps en 1889. Dans ces trois corps d’armée, des divisions de cavalerie, furent provisoirement constituées par la réunion de deux ou trois brigades. Les résultats ont surabondamment prouvé qu’une telle expérience n’était pas superflue.

Aussi bien, depuis 1879, l’idée avait été lancée. À cette époque,

  1. Règlement du 23 mars 1887 sur le service des armées en campagne.