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une impulsion divergente, aucune intelligence se perdre en un particularisme décevant. Dans l’ensemble du mécanisme militaire, chacun doit connaître nettement sa place, son rôle, son mode et sa part d’action.

Car si tout y est compliqué, tout aussi y est connexe, relatif et dépendant. Le chercheur qui, dégageant une pièce particulière, voudrait l’ajuster, la mettre au point, sans tenir compte du cadre général, ferait œuvre superficielle et fragile. Aussi, étudier le rôle abstrait de la cavalerie en dehors des conditions spéciales de la guerre probable, ce serait fondre dans un moule classique, séduisant peut-être, mais à coup sûr démodé et défectueux.

A la tactique moderne il faut une base, non plus théorique, mais positive. Cette base, la conception quasi divinatrice de la prochaine campagne peut seule nous la fournir. C’est là le but puissant et immédiat dont la grandeur à la fois nous attire et nous effraie, l’idéal simple en dehors duquel tout n’est qu’agitation stérile ou pure rêverie.


A ne considérer que les résultats acquis par les méthodes scientifiques, on renoncerait vite à l’étude de la guerre. A travers l’histoire, les événemens militaires se succèdent, en apparence dissemblables et contradictoires, transformant l’organisation des nations et des armées, bouleversant les échafaudages théoriques, éclairant l’inanité des formules, montrant que telles règles, bonnes la veille, peuvent être mauvaises le lendemain : « La guerre, écrit le maréchal de Saxe, est une science couverte de ténèbres dans l’obscurité desquelles on ne peut marcher qu’en tâtonnant[1]. » Et Napoléon, qui y était passé maître, avoue qu’il n’y a pas de recette pour le succès : « Tout dépend du caractère du général, de la nature des troupes, de la portée des armes, de la saison et de mille circonstances qui font que les choses ne se ressemblent jamais[2]. »

Cependant, dans cette variabilité, un élément, — l’élément humain, — demeure immuable. Et c’en est la plus solide base. En dépit des époques ou des contrées, des saisons ou des arméniens, l’homme, dans le combat, reste identique à lui-même, toujours au même degré impressionnable, accessible aux mêmes entraînemens ou aux mêmes terreurs, provoqués par les mêmes causes. Il est l’axe à jamais fixé autour duquel évoluent, en des applications multiples, tous les rouages matériels de la guerre : les nombres, les combinaisons tactiques, l’organisation, l’armement.

Aussi, malgré des changemens subits et incessans dans leurs

  1. Maréchal de Saxe, Rêveries.
  2. Napoléon, Mémoires.