autre cours sous un nouveau règne, avec un prince plus jeune, qui, sans se jeter dans les aventures, aurait pu réussir à intéresser, à satisfaire le pays. Par la disparition soudaine du duc d’Orléans, on peut dire sans exagération que le cours de l’histoire a changé. On peut, si l’on veut, se faire quelque illusion sur ce qui aurait pu être ; on n’en peut plus avoir sur ce qui a été, sur ce qui est. La vérité, c’est que la révolution de février, qui a rouvert pour longtemps l’outre aux tempêtes, a pu s’accomplir, qu’elle a produit l’empire, que l’avenir libéral de la France s’est trouvé plus que jamais compromis, que l’Europe a pu être transformée par degrés contre nous ; la cruelle vérité, la dernière conséquence, c’est que ces jours passés Guillaume II de Prusse, empereur de l’Allemagne unie, était à Strasbourg et à Metz, visitant ce qu’on appelle le « pays d’empire, » les provinces annexées, attestant par sa seule présence une des plus étranges vicissitudes de l’histoire !
C’est là le fait ; c’est la réalité qui n’a rien du roman rétrospectif qu’on pourrait imaginer à propos d’un prince Charmant disparu depuis près d’un demi-siècle. Une autre Europe s’est formée par les révolutions et les guerres, une Europe qui, à dire vrai, a quelque peine à retrouver son équilibre, à se croire en sûreté dans les conditions nouvelles. Ce n’est pas qu’on ne lui promette la paix, que les prépotens du jour, ceux qui ont profité des événemens, ne s’agitent sans cesse pour nouer des alliances prétendues pacifiques, pour rassurer le monde par la puissance de leurs combinaisons diplomatiques comme par le déploiement continu de leurs forces militaires : c’est précisément par malheur cette agitation qui est le signe le plus sensible, si elle n’est la cause, de l’incertitude universelle. On a beau faire, l’Europe ne se sent pas plus tranquille ; elle n’est pas moins toujours réduite, même en pleine paix de l’été, à se demander où elle en est, de quel côté lui viendra l’imprévu, si quelque incident n’éclatera pas à l’Orient ou à l’Occident, ce qu’on médite ou ce qu’on prépare dans les chancelleries, dans les entrevues impériales et royales. Peut-être même, par une sorte d’habitude de crainte et de suspicion, se laisse-t-elle trop aisément aller à voir une signification dans des faits qui n’en ont pas, à chercher de profonds calculs, des secrets dans de simples déplacemens imaginés pour le plaisir des princes, dans des voyages d’agrément ou de cérémonie. Oui, sans doute, l’empereur Guillaume, qui est pour le moment le plus agité des souverains, se fait une vie assez occupée avec ses voyages, ses réceptions et ses visites. Il était récemment en compagnie de l’impératrice dans les pays d’Alsace et de Lorraine. C’est la première fois depuis son avènement que le jeune chef de l’empire a paru à Strasbourg, à Metz, et rien n’a été négligé naturellement pour faire illusion au souverain. Les revues, les retraites aux flambeaux, les banquets, les bals, les illuminations, les ovations préparées avec art, rien n’a manqué aux fêtes officielles. Après tout, il n’en est