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années, il faut bien l’avouer, n’est qu’une dérision. Ce n’est plus en vérité qu’une parodie, et ce qu’il y aurait à réviser, ce n’est pas la constitution, c’est l’esprit républicain qui en a faussé et violenté les conditions, qui a créé cet état où l’aberration césarienne a reparu comme le fruit naturel de toutes ces confusions et de toutes ces altérations.

Rien de mieux encore, si l’on veut, que de prétendre refaire un gouvernement comme on le dit dans les discours, et si on parle sans cesse de refaire un gouvernement, c’est qu’on sent apparemment qu’on n’en a plus guère, ou du moins que ce qui en reste a perdu sa force et son prestige : mais, s’il n’y a plus un vrai gouvernement, c’est qu’on l’a détruit ou laissé détruire par une dégradation croissante des plus simples conditions d’une autorité sérieuse et respectée. On l’a détruit en le dépouillant ou en le laissant dépouiller de ses droits, en le livrant aux plus vulgaires influences de parti ou de coterie, en le laissant surtout passer dans les chambres aux sénateurs et députés, opportunistes ou radicaux, demeurés les arbitres des intérêts, des distributions, des faveurs comme des disgrâces. Il s’est formé ainsi par degrés quelque chose qui n’est point un gouvernement, une sorte d’association anonyme irresponsable, se servant du gouvernement, exploitant les influences officielles, procédant par l’exclusion, la menace et les inquisitions locales. On s’est élevé autrefois contre l’empire : il y a aujourd’hui, c’est à peine croyable, de petites localités où le plus modeste employé n’ose pas aller à la messe ni avouer ses relations. On s’est élevé contre les candidatures officielles, mais les ministres successivement, et M. le ministre de l’instruction publique vient de faire comme les autres, adressent des circulaires à leurs agens les plus étrangers à la politique pour les mettre au service de leur parti, de leurs amis, sous le commandement de leurs préfets. Ce n’est plus le gouvernement impartial du pays exerçant libéralement ses droits au profit de tous, s’élevant au-dessus des querelles vulgaires ; c’est une domination de parti abusant jusqu’au bout des avantages du pouvoir au risque d’achever de le déconsidérer et de le ruiner. La vérité est que depuis quelques années on a fait du gouvernement comme on a fait du régime parlementaire en compromettant tout, pour finir par une crise dont on sent la gravité sans savoir comment on en sortira.

Et quand les républicains, qui règnent depuis dix ans, s’efforcent aujourd’hui de dégager leur responsabilité dans leurs discours en récriminant contre l’opposition conservatrice en accusant les conservateurs d’être la cause des turbulences stériles de la dernière chambre aussi bien que des incohérences de gouvernement, c’est une assez maussade plaisanterie de plus. Les républicains ont pu évidemment faire ce qu’ils ont voulu, puisqu’ils étaient les plus nombreux. Ils ont su parfaitement trouver une majorité pour toutes leurs œuvres de parti, quand ils ont voulu décréter des invalidations systématiques et arbitraires, proscrire