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des calices se meuvent avec la grâce et la liberté des panégyries autour d’un vase grec. J’aurais quelques réserves à formuler suites tentatives de M. Armand-Calliat ; il a gardé de son premier maître, M. Bossan, l’amour de la symbolique touffue qui égara cet architecte dans la décoration de la basilique de Fourvières ; allégés et simplifiés par des coupes sombres dans les allégories, certains ouvrages plairaient mieux. Je ne suis pas sûr que les tons des émaux et leurs combinaisons soient toujours irréprochables. Erreurs d’un chercheur passionné, entraînées pêle-mêle avec les heureuses trouvailles dans un souffle de vie, une flamme de foi comme l’orfèvrerie sacrée n’en avait peut-être jamais connu, depuis les joyaux que nous admirons à l’Exposition rétrospective du Trocadéro. Là-haut, la foule se presse devant les trésors des abbayes ; ici, elle passe inattentive, rien ne l’avertit que l’âme perdue est rentrée dans ces cloisons de vermeil. Quant au jury dont relève M. Armand-Calliat, il n’a pas mission de couronner les âmes, il accordera vraisemblablement ses plus hautes récompenses au prestigieux Américain. Songez donc ! un homme qui montre des millions de dollars dans sa vitrine, qui a retrouvé le métal de Corinthe en pilant dans une aiguière la Californie et le Nevada. Mais qu’importe au tranquille artiste ? Il regagnera la vieille maison de travail, dans l’ombre et le silence de la montagne lyonnaise ; il rouvrira le volume des Bollandistes à la page abandonnée. Consolé de l’indifférence des hommes, la joie renaîtra pour lui dès qu’il fixera sur l’or et l’émail les belles visions qui remonteront du livre, comme montent au sommet de la tour les fleurs mystiques du rosier de sainte Roseline, sur cette monstrance qu’il a ciselée pour elle ; le rêve idéal des pieux compagnons de Fourvières, un moment interrompu par notre bruit, repartira sur ces ailes irisées, constellées d’yeux dont la prunelle d’azur rappelle les yeux de Roseline, qui furent enclos dans ce reliquaire.

Plus heureux est M. Émile Gallé, le triomphateur de l’industrie mobilière à l’Exposition. Tout le monde applaudit à l’initiative de l’artiste lorrain. Artiste en quoi ? me demandera-t-on. Artiste en tout ce qui lui tombe sous la main, en bois, en verre, en terre cuite ; mais surtout artiste en chimères, toujours prêt à les emprisonner dans le premier objet sur lequel il les saisit, table, bahut, bouteille ou pot de grès. Voici enfin, dans notre morne république de la division du travail, un homme qui nous fait comprendre la folie de l’art, telle que Vasari la décrit chez les maîtres florentins, alors que tourmentés par des formes trop nombreuses, ils en délivraient leur imagination avec tous les instrumens, sur toutes les matières, dans un besoin de création universelle et