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consacré où l’on célèbre les cérémonies de l’initiation aux mystères. Le pouvoir : deux photographies encadrées au mur ; le roi Kalakaua, avec sa bonne figure d’orphéoniste toulousain, sanglé dans le grand cordon de son ordre, bardé de plaques sous les épaulettes et les aiguillettes de sa tunique d’ordonnance ; la reine Kapriolani, décolletée, un diadème en brillans dans ses cheveux crépus, le même grand cordon sur sa gorge avantageuse ; leurs traits respirent une conviction de majesté égale, sinon supérieure, à celle de l’empereur d’Allemagne et de l’impératrice des Indes. Les insignes du pouvoir : une sorte de long plumeau, en guise de sceptre ; un casque de plumes rares, modèle excessif de ceux qui ornent les chefs des civilisés aux parades militaires ; l’argenterie de la couronne, une énorme soupière d’un bois précieux où le roi mange le poï, la bouillie nationale. Les grands services publics : le ministre de l’instruction expose son budget avec la même fierté que ses collègues d’Europe : 1,611,765 francs, dépensés pour les écoles primaires et secondaires. — Entre ce microcosme et nos empires, on voit bien des différences de dimension, de développement, on ne voit aucune différence spécifique, intrinsèque. Et dans cette petite salle, comme dans une éprouvette, les visiteurs révèlent l’une ou l’autre pente de leur esprit. Les uns raillent l’ensemble des choses humaines, qui leur apparaît là par le petit bout de la lorgnette ; leur premier mouvement est de faire rentrer le chêne dans le gland ; ils ricanent : « Les dieux, les rois, voilà ce que c’est, en dernière analyse. » Bouvard est heureux de mépriser ; et il ne se doute pas que son nihilisme, lorsqu’il refait d’un bond le chemin parcouru par la civilisation, trahit tout au fond de ses instincts un secret besoin de retour à la vie sauvage, un revenez-y de Papoua. D’autres sentent redoubler leur respect pour la longue ascension de l’humanité sur l’échelle de Jacob, pour l’effort de ce monde qui se crée perpétuellement en hauteur, pour la légitimité de ces pouvoirs qui reparaissent toujours comme le ciment nécessaire des sociétés, pour la vérité de cette divinité qui s’élève au-dessus de l’homme à mesure qu’il monte et lui dispense une quantité de lumière proportionnée à la conformation de son œil. — Ceux-là ne dédaignent pas Kalakaua, ni Kapriolani ; ces potentats d’Honolulu « font la chaîne, » comme on disait l’autre jour ; ils la font entre les animalcules qui ont bâti leur royaume de corail et les César, les Napoléon. Dans une chaîne de maillons inégaux qui soulève un poids, l’effort est le même pour tous les anneaux, aussi considérable, aussi pénible, aussi méritoire pour le plus petit que pour le plus gros. — Je crains que ceci n’ait avec l’industrie qu’un rapport lointain. Ce n’est pas ma faute si cette Exposition est une mer sans fond ; à quelque endroit que l’on jette