Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

charme de son agonie tranquille, sa noble misère de roi-mendiant, ses haillons éteints dès qu’on les retire de la lumière ambiante, quel décor mensonger, cet Orient de boulevard et d’atelier ! Quelle immense mystification !

Au second type d’industrie appartiennent les richesses brutes, déjà exploitées, mais qui attendent encore pour acquérir toute leur valeur l’habile mise en œuvre de la main européenne. Ce type est à, peu près le seul représenté, dans la cité bariolée bâtie au Champ de Mars par les républiques sud-américaines. Le contenu est identique dans ces pavillons si divers d’aspect : qui en a vu un, les a tous vus. A la place d’honneur, le portrait du général président ; lourde figure de beau sergent, très chamarré dans l’uniforme tout battant neuf qu’il n’aura pas le temps d’user, avec la mine et la prestance d’un Cid campéador, sorti des gardes nationales et posant pour une vignette de Gustave Aymard ; ces présidens ont un air de famille, et chose inquiétante, plusieurs ressemblent par quelque endroit à un visage connu, en très brun. Sous les yeux de cet administrateur, des cafés, des tabacs, des céréales, des laines en ballots, des cuirs tannés, des bois magnifiques en grume, des métaux précieux dans leur gangue ; ces échantillons donnent l’impression d’un nouveau monde à peine découvert, opulent et mal dégrossi, qui ouvre des perspectives sans fin à l’activité de nos vieilles races ; monde où l’homme est subordonné à une nature trop forte pour lui. Voyez, à l’exposition du Guatemala, cette grotte aménagée avec les spécimens de la flore et de la faune tropicales ; reptiles monstrueux, oiseaux au coloris aveuglant, gigantesques papillons d’azur, beaux comme un rêve de fée, et qu’on dirait découpés dans un lambeau de ciel ; c’est un coin oublié du paradis terrestre. Et l’on pense avec tristesse qu’en vertu d’une loi inéluctable, cette terre verra pâlir sa splendeur, le jour où le travail acharné de l’homme l’aura vaincue et disciplinée ; elle perdra en grâce tout ce qu’elle gagnera en utilité ; car il semble que la physionomie de la nature reflète exactement les évolutions de l’esprit humain, et que la poésie des lieux subisse la même décroissance que celle de la pensée dans sa maturité, quand l’exubérance de l’imagination y devient incompatible avec les progrès de la raison.

Parmi ces pavillons des pays neufs d’outre-mer, un seul m’a retenu longtemps ; c’est de tous le plus petit et le plus vide, celui des îles Hawaï. Il intéresse comme un germe où l’on verrait les linéamens de l’arbre futur. Dans cette chambre de quelques pieds carrés, l’état d’Honolulu nous montre l’embryon d’un empire achevé, avec toutes les parties nécessaires de son organisme. Le culte : des dieux fétiches taillés dans un bâton, plantés autour d’un enclos