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Il se disait tout à fait rassuré du côté de la Prusse ; celle-ci n’avait d’autre but que d’engager la maison d’Autriche, afin de tirer parti de ses embarras. Mais Dumouriez ne resta que peu de temps ministre : « Nous sommes sur un volcan, écrit Morris le 17 juin, nous le sentons trembler, nous l’entendons rugir, mais nous ne savons pas où et quand se fera l’éruption. »

Lafayette commençait à penser à se mettre en travers de la faction jacobine. « Je vous confesse que je ne crois pas beaucoup à son succès. Il y a beaucoup à faire et peu de temps pour le faire, et pendant qu’une grande partie de la nation désire renverser le gouvernement présent pour restaurer les anciennes formes, pendant qu’une autre, plus dangereuse encore par le nombre et les positions qu’elle occupe, désire fonder ici une république fédérale, les modérés, attaqués de tous côtés, luttent seuls contre des forces écrasantes. »

Trois jours après, les députations des faubourgs forçaient l’entrée des Tuileries, insultaient le roi et la reine, forçaient le roi à mettre le bonnet rouge. Lafayette accourut à Paris et donna à Morris un rendez-vous chez M. de Montmorin. « Je lui dis qu’il faut qu’il retourne à l’armée ou aille à Orléans et se détermine à se battre pour une bonne constitution ou pour le méchant morceau de papier qui porte ce nom ; que dans six mois, il sera trop tard. Il me demande ce que j’entends par une bonne constitution, si c’est une constitution aristocratique. Je lui dis que oui et je présume qu’il a vécu assez dans le nouveau style pour voir qu’un gouvernement populaire n’est bon à rien en France. Il me dit qu’il veut la constitution américaine, mais un exécutif héréditaire. Je lui réponds que dans ce cas le monarque sera trop fort et qu’il faudra lui donner un frein dans un sénat héréditaire. »

La constitution n’était plus qu’une toile d’araignée qui ne pouvait arrêter l’émeute. Personne, au reste, n’avait ni plan, ni méthode, ni projets d’avenir. Le moment approchait où la terreur allait régner en souveraine ; on voit apparaître pour la première fois dans les lettres du ministre américain le nom de Danton. « Danton a dit publiquement, à propos des intrigues de la cour, qu’on en serait bientôt débarrassé. » Un des nouveaux ministres, Terrier de Monciel, était un ami intime de Morris. Celui-ci dit à Louis XVI qu’il pouvait se fier à Monciel ; un mémoire donné quelques années plus tard, à Vienne, à l’évêque de Nancy pour « son altesse royale, » sans date, sans signature, mais probablement écrit en 1792, contient ces lignes : « Il (Monciel) fut chargé de l’affaire la plus importante, c’est-à-dire d’aviser aux moyens de tirer le roi de sa périlleuse situation. Il eut à cet effet des consultations fréquentes avec M. M… (Morris), et parmi les différens moyens qui se présentèrent, celui