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girondins, pour établir la république. L’empereur ne la voudrait point et se réfugie derrière l’acceptation de la constitution par Louis XVI pour refuser d’agir ; mais le roi de Prusse veut se grandir et saisir une occasion. L’évêque d’Autun a été envoyé en Angleterre pour chercher une alliance contre l’empereur, et « si mon information est correcte, il est autorisé à offrir la cession de l’île de France, de Bourbon et de Tabago. » Morris prévoit que cette négociation ne peut aboutir, que jamais l’Angleterre ne s’embarquera avec la France : « le jeu de M. Pitt est aussi clair que le jour. Il n’a qu’à recevoir les offres qui lui seront faites et à en envoyer des copies à Vienne et à Madrid, » Brissot était allé dans le comité diplomatique jusqu’à proposer, en vue d’obtenir cette alliance impossible, d’offrir à l’Angleterre la cession de Dunkerque et de Calais : « vous jugerez par ce spécimen de la sagesse et de la vertu de la faction à laquelle il appartient. »

Dans d’autres lettres à Washington, Morris revient sur les offres faites par Talleyrand à l’Angleterre pour obtenir sa neutralité au cas d’une guerre avec l’empereur : la cession de Tabago, la démolition des travaux de Cherbourg, la prolongation du traité de commerce. L’évêque d’Autun échoua dans sa mission, la cour d’Angleterre regardait avec horreur et avec appréhension les révolutionnaires français ; sa réputation personnelle était détestable, enfin il n’avait pas craint de donner à entendre qu’il avait de quoi corrompre les membres du cabinet, Pitt, au reste, savait que les travaux de Cherbourg étaient peu avancés et que la marine française était dans un état misérable ; ce qui l’intéressait, dans le cas d’une guerre entre la France et l’empire, c’était le sort des Pays-Bas, qu’il ne voulait pas voir annexés à la France.

Au moment où Morris entra en fonctions, le roi venait de prendre un ministère girondin ; Roland avait l’intérieur, Dumouriez les affaires étrangères : dans sa première visite au ministre, Morris ne cacha pas que pendant que l’Assemblée constituante était réunie, il avait travaillé à provoquer certains changemens dans la constitution qui lui paraissaient essentiels ; il n’avait pas réussi ; il était maintenant un homme public et savait qu’il n’avait pas à s’ingérer dans les affaires intérieures du pays. La correspondance de Morris avec Jefferson, secrétaire d’état à Washington, commence le 10 juin 1792 ; Dumouriez lui a dit que le système politique de la France était extrêmement simple ; une puissance aussi grande que la France n’avait pas besoin d’alliances et par conséquent il était contraire à tous les traités, sauf aux traités de commerce. La guerre était déclarée contre le roi de Hongrie (qui venait de succéder au pacifique Léopold, mais n’avait pas encore été élu à l’empire). Dumouriez comptait sur une révolte dans les Pays-Bas autrichiens.