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à la mesure des Grecs et des Romains : « Ceux qui cherchent leurs formes politiques en Amérique ne sont pas différens des tailleurs de l’île de Laputa, qui, nous dit Gulliver, prennent toujours mesure avec un quadrant. »

« Le roi est honnête et cherche le bien, dit Morris ; il n’a ni le génie ni l’éducation qu’il faudrait pour montrer le chemin de ce bien qu’il désire… La noblesse, qui, à l’heure présente, n’a pour elle ni la force, ni la richesse, ni les talens, oppose sa fierté plutôt que des argumens à ses adversaires… Si on a le bon sens de donner à la noblesse quelque part dans l’autorité nationale, la constitution pourra probablement durer ; mais autrement elle mènera ou à la monarchie pure ou à la pure république. Une démocratie ! peut-elle durer ici ? je ne le crois pas, à moins que tout ce peuple ne soit changé. » On approchait de la crise : le 12 juillet, Morris apprend à la table du maréchal de Castries le renvoi de M. Necker ; le surlendemain, la Bastille était prise. Quelques jours ; après, Morris dîne avec Lafayette, devenu le roi de Paris, sous le nom de commandant de la nouvelle garde nationale. Celui-ci lui donne une permission pour visiter la Bastille qu’on démolit ; il a plus d’autorité qu’il ne voudrait et en est déjà las : « Il a commandé en maître absolu à 100,000 hommes, promené son souverain à travers les rues comme il lui a plu, prescrit quels applaudissemens il devait recevoir ; il aurait pu, s’il l’avait voulu, le garder prisonnier. Il désire donc, autant que possible, rentrer dans la vie privée. Sur ce point, il se trompe ou essaie de me tromper, ou peut-être tous les deux. » Singulières confidences et bien faites pour montrer ce qu’était devenue l’autorité royale ! Le 22 juillet, la tête et le corps de Foulon étaient promenés en triomphe dans Paris, « la tête sur une pique, le corps nu, traînant à terre. Son crime était d’avoir accepté une place dans le ministère. Le corps mutilé d’un vieillard de soixante-dix ans est montré à Berthier, son gendre, l’intendant de Paris ; lui aussi est ensuite mis à mort et coupé en morceaux et la populace les promène avec une joie sauvage. Grand Dieu ! quel peuple ! »

Quelques jours après, Morris quitte Paris et s’embarque pour l’Angleterre. Il y est très bien reçu par M. de La Luzerne, l’ambassadeur de France, et trouve dans ses salons un grand nombre de Français, chassés de leur pays par la jacquerie, qui avait commencé dans les campagnes ; M. de La Luzerne cherchait à calmer ces émigrés : « Je leur dis (il parle à Morris) que toutes ces petites commotions, ces châteaux brûlés, etc., bien que très douloureuses, ne sont que des taches dans notre grande affaire, et, s’ils ont une bonne constitution, elles seront bien vite oubliées. » Des dépêches reçues d’Amérique, relativement au règlement de la dette