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Grégoire se retira en mai à Anagni, la ville où Boniface VIII avait bu un calice si amer. Il séjourna dans la forteresse des Gaetani jusqu’aux premiers jours de novembre. La boucherie de Cesena, qui pouvait donner le signal d’une guerre d’extermination, fit réfléchir la ligue italienne ; malgré la défection d’Hawkwood, qui se vendit à Florence, la défaite d’un neveu du pape en Toscane, et les dispositions toujours hostiles de Bernabo Visconti, le saint-siège sut ramener Bologne à l’obédience de l’Eglise ; il enlevait en même temps à la ligue son capitaine-général Rodolfo da Varano ; il se réconciliait avec les Romains. Il signa donc un nouvel instrument de paix, qui fut sanctionné, le 10 novembre, par l’assemblée du peuple, après que Grégoire eut réintégré Rome. Si d’ailleurs, d’après les titres des magistrats de la commune qui signèrent de leur côté sur le parchemin, on reconnaît quelle part étroite de principat la constitution toute républicaine de Rome laissait alors au chef de l’Eglise, le pape n’avait pas moins repris les clés de saint Pierre, et la foi du monde chrétien retrouvait son point fixe d’orientation.

Florence, cependant, résistait toujours à la paix ; elle offrait à Grégoire des conditions inacceptables, refusait de rendre les biens de l’Église, de rétablir les tribunaux ecclésiastiques, de rompre le lien qui unissait entre elles les villes de la ligue. Tant que Florence maintenait autour de son gonfalon les cités rebelles, le pontifical romain demeurait à la merci de toutes les surprises. Cette attitude de l’alliée traditionnelle de l’Eglise est bien digne d’attention. Il est curieux de retrouver, soixante ans après la Divine Comédie, dans le sentiment populaire comme au gouvernement de cette ville, la haine mortelle de Dante contre le saint-siège. Florence se sentait vraiment la capitale intellectuelle de l’Italie, qui lui devait l’achèvement de sa langue littéraire, son plus grand poète, sa première grande école de peinture. Pourquoi n’hériterait-elle pas, dans la péninsule et la chrétienté, par la civilisation, la science et l’art, de la place éminente que Rome avait longtemps occupée par sa fonction mystique ? Et ne descendrait-elle pas au second rang le jour où Rome, renouant la tradition apostolique, retrouverait la maîtrise religieuse du monde ? Elle apportait à ce rêve de grandeur la passion d’une cité toute démocratique qui croyait à la perpétuité de nos libertés, tandis que sa démagogie, de plus en plus impérieuse, repoussait dédaigneusement, à la veille de l’insurrection socialiste les Ciompi, cette autorité pontificale, la plus haute des autorités qu’elle se proposait d’abattre. Déjà le gouvernement florentin s’essayait à une sorte de schisme religieux. Les huit de la guerre, meneurs du parti de la lutte à outrance, lancèrent un édit en vertu duquel l’interdit pontifical, qui, depuis dix-sept mois, fermait les