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recommandait Catherino : il fit armer en secret une galère sur le Rhône. Le 13 septembre, les portes du palais pontifical s’ouvrirent tout à coup ; le pape, accompagné de quinze cardinaux, s’apprêtait à descendre vers le fleuve. La mule qu’on lui présenta d’abord se cabra et refusa son cavalier, accident qui sembla de mauvais augure. Le père du pape accourut tout en larmes et poussant de grands cris, afin d’empêcher la sortie de son fils : « Tu passeras d’abord sur mon corps, » lui dit-il. Grégoire répondit : « Dieu a dit : Tu marcheras sur l’aspic et le basilic, tu fouleras aux pieds le lion et le dragon. » La foule muette s’ouvrit pour laisser la voie libre à l’Église romaine retournant vers la ville éternelle. À Marseille, où le cortège s’arrêta onze jours, vingt galères italiennes et françaises attendaient à l’ancre, commandées par le grand-maître de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem. La flotte, assaillie en dehors du port par une grosse tempête qui emporta d’un coup de vague l’évêque de Luni, mit seize jours pour atteindre Gênes. Sainte-Catherine arrivait, de son côté, par la voie de terre, dans cette ville et fort à propos pour relever le courage de Grégoire. Celui-ci, brisé par la lassitude du voyage, s’abandonnait aux prières de ses courtisans ; déjà Rome, excitée par les émissaires de Florence, s’agitait d’une façon menaçante à l’approche de son évêque ; le saint-père, oublieux de ses promesses, s’engageait en consistoire public à rebrousser chemin vers la Provence. Catherine eut alors recours aux entrevues secrètes, la nuit, dans la cellule du couvent où elle s’était retirée. Grégoire sortait réconforté de ce mystique tête-à-tête ; il recevait de la jeune femme l’illusion de l’héroïsme, et celle-ci, dans les longues heures d’insomnie qui suivaient ces furtifs entretiens, disait à Dieu : « Ô amour éternel, si la lenteur de ton vicaire te déplaît, punis mon corps que je t’offre et te rends ; frappe-le de verges et détruis-le à ton bon plaisir. »

Le 20 octobre, le pape reprenait la mer, qui lui fut encore plus inclémente qu’au départ de Marseille. Sa vie fut plus d’une fois en péril ; ses cardinaux tombaient malades ; celui de Narbonne fut renvoyé A terre et s’en alla mourir à Pise. Cette traversée, coupée par de fréquentes stations aux ports de Ligurie et de Toscane, fut d’une durée étonnante. La tempête força les voyageurs A séjourner neuf jours à Livourne. Ils touchèrent à l’île d’Elbe, à Piombino, à Orbitello, au cap Argentaro et débarquèrent A Corneto, le 5 décembre. Les négociations s’ouvrirent aussitôt entre les cardinaux de Porto, d’Ostie et de Sabine, et le, parlement populaire du Capitole, et le traité conclu autrefois avec Urbain V fut renouvelé. Rome rendait au pape le droit de souveraineté féodale sur le Patrimoine, les ponts, portes, tours et forteresses de la ville, le Transtevere et la cité léonine ; le pape promettait de laisser en fonctions les exécuteurs de