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condamnait point d’innocentes friandises. Elle compare l’âme chrétienne à une orange confite, dont un feu doux a enlevé l’amertume ; au dedans, on met toutes sortes de bonnes choses, et, autour de l’écorce durcie et saturée de sucre, une légère feuille d’or, qui rend le fruit très plaisant au regard. Telle notre conscience, dépouillée de toute aigreur, purifiée de son égoïsme, par le feu de la foi, remplie de mansuétude et de patience, confite en charité, attrayante par l’éclat de la grâce aux yeux de Dieu et du monde. En chacune de ses lettres elle verse une fois ou deux dans le symbolisme subtil si cher au XIVe siècle et qui avait gâté plus d’un sonnet de Pétrarque. Les vertus, les qualités intellectuelles ou les vices du cœur sur lesquels elle écrit rappellent souvent les allégories du Roman de la Rose. La lettre tourne parfois à la litanie. Voici trois cardinaux qui hésitent entre Urbain VI et le faux pape Clément VII, et qu’elle reprend de leur tiédeur ; ils étaient placés, dit-elle, sur le sein de l’église comme des fleurs dont on attendait une bonne odeur, contre le vaisseau de l’église comme des colonnes destinées à soutenir le siège du vrai pontife, sur le candélabre de l’église comme des lanternes pour éclairer les fidèles. Mais, par la lâcheté des trois prélats, les fleurs se sont flétries, les colonnes sont tombées, les lanternes se sont éteintes. Tout ceci découle de la rhétorique religieuse du temps. Ce qui est bien propre à sainte Catherine, c’est le tour féminin de la pensée. L’esprit scolastique ne s’est point, Dieu merci, glissé en elle. Elle dédaigne la grave démonstration des docteurs du moyen âge qui ne s’avancent jamais qu’appuyés d’un côté sur un syllogisme, de l’autre, sur un texte de l’Écriture. Catherine ne raisonne point : elle affirme, prie, menace ou pleure ; elle n’a que faire du témoignage des livres saints ; elle est, elle aussi, un prophète, et toutes les colères d’Isaïe, toutes les visions d’Ézéchiel ne vaudraient point un seul des cris de son cœur. Elle revient sans cesse à quelques jolies images, le troupeau des brebis de Dieu, le beau jardin de la sainte église, tout rayonnant de fleurs qui embaument, quand le jardinier consent à en arracher les herbes vénéneuses. Mais il y a quelques épines dans le bouquet poétique qu’elle offre aux papes, aux princes et aux évêques : elle le sait, et c’est même pour la piqûre qu’elle présente le bouquet. « Hélas ! hélas ! mon grand-père très doux, écrit-elle à Grégoire, pardonnez à ma présomption pour ce que je vous ai dit déjà et ce que je vous dis aujourd’hui : mais la vérité première (Dieu) m’oblige à parler ainsi ; c’est sa volonté, père, qui vous commande. » Tous ces détours mènent tantôt à un avis sévère qui a sans doute fait tressaillir le correspondant de la sainte, tel que le conseil discret d’abdiquer la tiare, tantôt à quelque faiblesse de l’âme pontificale, qu’elle avait devinée et qu’elle lui