Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et le clergé de Rome se souviendraient tout à coup de leur antique privilège, l’élection du saint-père par acclamation populaire ?

Sainte Catherine, après avoir soigné les pestiférés de Sienne, venait de passer à Pise la plus grande partie de l’année 1375. Elle s’était rendue dans cette ville avec son confesseur Raimondo, plusieurs prêcheurs et les dames de sa confrérie. Le tyran Gambacorti, l’archevêque Moricotti di Vico, l’avaient reçue avec de grands honneurs. Elle avait eu des extases dans l’église de Sainte-Christine, et s’était relevée d’une vision portant aux pieds et aux mains les stigmates du crucifié. On l’avait entendue prêcher chez les cisterciens de l’île Gorgona sur la façon de vaincre les tentations. Elle s’était beaucoup occupée d’un projet de croisade contre les Turcs qui menaçaient Rhodes ; elle y revint souvent ; elle invitait au passage la reine Jeanne, Bernabo Visconti, le roi de France Charles V, qui avait bien d’autres soucis alors, la reine de Hongrie, tous les princes italiens ; le pape était naturellement le chef de l’entreprise. Catherine oubliait que la croisade, abandonnée depuis un siècle, n’avait jamais été en faveur près des Italiens, sinon dans les villes maritimes qui avaient jugé l’occasion excellente pour établir leurs comptoirs du Levant sous le bouclier de la chrétienté. Mais la guerre sainte, c’était la paix entre les confédérés, la réconciliation des peuples autour du premier évêque, l’essai d’une république chrétienne gouvernée par le pape, un retour à la royauté religieuse d’Innocent III. En attendant ce beau jour, elle s’était donné beaucoup de mal pour convertir les Pisans et les Lucquois à la cause du saint-siège ; il semble qu’elle ait obtenu d’eux une sorte d’armistice ou de vagues promesses de pacification. « Mais ils sont fort embarrassés, écrit-elle dans sa première lettre à Grégoire VI, car ils ne tiennent de vous aucune consolation, et le parti qui vous est contraire les menace et les excite à la ligue contre l’église. » C’est à Pise, comme l’indiquent ces paroles, que Catherine trouva le point aigu du mal qui dévorait l’Italie et entrevit le remède à tant de souffrances, le retour du pape à Rome. Elle promit à Dieu de l’obtenir.

Cette lettre date de sa rentrée à Sienne, de janvier ou de février 1376. Le ton en est très libre, parfois même audacieux ; en toute sa correspondance, la sainte écrit au nom de Dieu, sans contrainte aucune. Mais les lettres à Grégoire XI, pleines d’accens de tendresse, sont charmantes ; elle exhorte le jeune pontife, le supplie, le réprimande, le caresse, l’appelle mon père, mon grand-père, babbo mio, et, après l’avoir grondé, lui demande humblement sa bénédiction. Plus tard, écrivant à Urbain VI, elle développe, pour exprimer l’état de l’âme qui se pénètre de vertu et d’amour divin, une figure familière sans doute à une religieuse dont la règle ne