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des chartreux, légat pontifical, était tenaillé et mis en lambeaux par la foule. Dès le mois de novembre 1375, l’incendie avait gagné les villes de l’état ecclésiastique. Pérouse forçait l’abbé légat à capituler ; les Romagnes, les Marches, Ravenne, la pieuse Ombrie, la mystique Assise, puis le Patrimoine, puis la Campanie, dressaient à la cime de leurs tours la bannière couleur de sang. Bologne, maintenue par son cardinal, frémissait. Rome seule, dans cette tempête, tandis que l’Italie se levait avec un élan tout national qu’on n’avait pas revu depuis la ligue lombarde, au XIIe siècle, Rome semblait indifférente, et le tocsin persistait à ne point sonner sur le Capitole.

Et cependant, les lettres de la seigneurie florentine au peuple romain étaient bien sonores. Elles dénonçaient les affamés français, Gallicos voratores, qui rongeaient l’Italie ville à ville. Elles montraient le Latium, sanctuaire de la civilisation antique, déshonoré par les barbares. Mais Rome prétendait régler à sa guise ses propres affaires. Le grand mouvement italien où Florence s’efforçait de l’entraîner lui paraissait dirigé contre elle-même, tout autant que contre le saint-siège. Elle se méfiait des pensées secrètes de Florence, si durement frappée de verges par le pape Boniface, et dont la mémoire était longue ; elle n’avait point oublié, de son côté, qu’au temps de Rienzi, quand l’Italie avait été conviée à se grouper autour du tribun, Florence, par son égoïsme, avait fait échouer la révolution romaine. Rome avait tout à perdre si épuisée par soixante-dix années d’anarchie, elle tombait sous la grille de Florence, de Milan ou de Naples. Elle était désenchantée alors du rêve de république universelle dont Rienzi, après Arnauld de Brescia l’avait bercée pendant quelques mois. Et si la tyrannie devait remplacer chez elle le régime communal, quelle déchéance de passer des mains du pape, roi du monde spirituel, a la domination sauvage d’un Colonna ou d’un Orsini ! L’église une fois perdue ou proscrite ; pour toujours, Rome n’était plus qu’une cité italienne, plus misérable que Florence, Venise, Milan, Bologne ou Naples, parce qu’elle n’avait ni bourgeoisie riche, ni industrie, ni campagne fertile, ni commerce maritime, et que sa population, grâce à la guerre des rues, à la peste, à la famine, n’était plus à ce moment que de 17,000 habitans épars sur les sept collines éternelles. Rome attendait donc la rentrée de la papauté. Elle voulait le pape légitime, le pâle et doux pontife d’Avignon. Certes, le schisme désastreux dont on indiquait tout à l’heure les conditions théoriques était imminent au début de 1376. Si Grégoire XI reculait encore pendant quelque temps au pied du calvaire qu’Urbain V n’avait pas eu la force de gravir jusqu’au bout, qu’adviendrait-il à l’heure où le peuple