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Rome, à laquelle il devait l’orgueil de sa destinée, le laurier poétique, et qu’il adorait en lettré, en artiste, en archéologue. Il avait aidé Rienzi dans l’entreprise chimérique du Buono Stato, de la république populaire inspirée de Tite-Live. Il cherchait aussi, sans se décourager, un empereur ou un pape qui voulût bien relever l’Italie de son abaissement et rendre à Rome le sceptre de l’Occident. Personne n’avait critiqué avec plus de verve le séjour des papes à Avignon, une ville barbare, balayée par un vent furieux, baignée par un fleuve bien misérable en comparaison du Tibre sacré. Une dernière fois, il reprit ce thème facile : les Français, eux aussi, étaient pour lui des barbares, les plus doux de tous, à la vérité, babarorum omnium mitiores. Mais la France n’était que l’esclave de Rome, délivrée du joug par une révolte heureuse et que les Italiens sauraient remettre à la chaîne antique, s’ils avaient la sagesse de s’unir contre elle. La lettre sur la mort d’Urbain V est de décembre 1370 ; cette vue originale sur les rapports de la France et de Rome date des premiers temps de Grégoire XI. Par ce dernier manifeste, Pétrarque exaltait d’une façon dangereuse pour l’église le sentiment de la primauté historique de Rome. Évidemment, l’Italie perdait patience ; elle pouvait, d’un jour à l’autre, déchirer la tunique sans couture. De combien de mois ou d’années ferait-elle crédit au successeur d’Urbain ? À ce moment, la question romaine prenait, pour le christianisme lui-même, une importance capitale. Pétrarque mourut tranquillement, en une claire matinée d’été (1374), la tête penchée sur un livre grec, laissant à de plus heureux le soin de résoudre les problèmes épineux qui avaient tourmenté sa vieillesse, mais qu’il avait aggravés par son éloquence. La mission réparatrice de sainte Catherine de Sienne allait commencer.


III

Le successeur d’Urbain V, Pierre de Rogier, Limousin, septième pape français, avait été élu en quelques jours, le 30 décembre 1370, par le conclave d’Avignon. Neveu de Clément VI, cardinal à seize ans, il n’était encore que diacre quand il fut élevé au pontificat, à l’âge de trente-huit ans. Il commençait alors à se distinguer dans le droit canonique, sous la direction du célèbre Baldo degli Ubaldi. C’était un clerc timide, d’une grande pureté de vie, très délicat de santé, pâle de figure, souvent malade. « Le pape, dit Froissart, était de petite complexion. » Quelques jours après son sacre, il demandait à un évêque de la cour d’Avignon pourquoi il ne résidait pas. « Nous résiderons tous, répondit l’évêque, quand le pape résidera en son grand évêché de Rome. » Cette parole, hardie pour