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SAINTE CATHERINE DE SIENNE

Les vieux tableaux de sainteté montrent parfois, au fond d’une plaine bleuâtre où serpentent de claires rivières, perchée sur la crête d’une montagne d’azur, une ville tout aérienne, bien serrée dans sa ceinture de murailles crénelées, couronnée d’une forêt de tours, de campaniles et de flèches. La montagne est si fort escarpée que l’accès de la ville paraît impossible : il faudrait, pour y pénétrer, descendre droit du ciel, à la façon des anges. Mais la sainte famille assise, dans la lumière blonde du premier plan, parmi les fleurs d’or et de pourpre, les bergers prosternés autour du jeune dieu, les bons pèlerins qui cheminent à travers la prairie, les nobles évêques qui se promènent pontificalement en chapes de velours vermeil et la crosse à la main, dans ce riant désert, sont très tranquilles à l’égard de la cité perdue sur les hauteurs ; ils semblent dire : « C’est notre petite Jérusalem céleste, le vestibule visible du paradis, la maison mystique où les simples de cœur trouvent l’hospitalité ; nous connaissons bien le chemin qui y mène ; nous le reprenons chaque soir, à l’heure où la cloche se réveille en chaque clocher, où la chanson s’endort au fond de chaque nid. »

Sienne, aperçue de loin, debout sur le rocher d’où elle surveille un large horizon de collines boisées, coupées par des ravins profonds, rappelle toujours au souvenir du passant les paysages de Botticelli ou du Pérugin. Au dedans, l’impression n’est pas moins intéressante. La ville du XIVe siècle est demeurée intacte, et l’œuvre néfaste qui, en quinze ans, a détruit Rome, ne touchera pas Sienne de si tôt. Il n’est pas possible, à moins de tout abattre, d’édifier entre ses murs les triomphantes masures qui s’étalent aujourd’hui sur l’Esquilin, aux jardins de Salluste, à la villa Albani, et coudoient insolemment Saint-Jean de Latran. Sienne est