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LES GAIS COMPAGNONS.

fères ; ta volonté sera toujours la mienne, et tu m’as dit tout ce que je voulais savoir. Un mot encore, cependant. Pourquoi donc as-tu du chagrin ?

Elle avoua que son père en était cause, mais ne voulut rien ajouter, secouant seulement la tête et répétant qu’il n’était pas bien, qu’il n’était plus lui-même et que c’était grande pitié. Elle ne savait aucun détail sur le bateau naufragé.

— Je n’ai jamais été le voir, me dit-elle ; pourquoi y serais-je allée ? Les pauvres gens qui le montaient ont depuis longtemps comparu devant Dieu et j’aurais voulu qu’ils emportassent avec eux tout ce qu’ils possédaient. Pauvres, pauvres âmes !

Ceci ne m’encourageait guère à l’entretenir de mon grand projet touchant l’Espirito Santo ; je le fis toutefois, et, au premier mot, elle s’écria surprise :

— Tiens, il est venu un homme à Grisapol au mois de mai, un petit homme jaune, barbu, avec des bagues d’or à tous les doigts, paraît-il, qui s’enquérait partout de ce même vieux navire.

C’était vers la fin d’avril que le docteur Robertson m’avait remis les papiers à trier, et je me souvins qu’il m’avait dit que ces papiers étaient destinés à un historien espagnol, ou du moins à un étranger qui se faisait passer pour tel et qui était venu de Madrid, muni des plus hautes recommandations auprès du principal, comme chargé d’une mission de découverte, relative à la dispersion de la grande Armada. En rapprochant les choses, je me figurai que ce visiteur, avec des bagues d’or à tous les doigts, pouvait bien être le même que l’érudit recommandé au docteur Robertson. Ce malin travaillait peut-être à s’approprier un trésor plutôt qu’à poursuivre des investigations au profit d’une société savante. Je résolus de ne pas perdre de temps. Si le fameux navire était enseveli dans la baie de Sandag, je tâcherais d’arriver le premier dans mon intérêt, dans celui de Mary, dans l’intérêt de la bonne, vieille, honnête et hospitalière famille des Darnaway.


III.

Le lendemain je me levai donc de bonne heure, et, aussitôt que j’eus mangé un morceau, je commençai mes explorations. Quelque chose dans mon cœur me disait distinctement que je trouverais les débris de l’Armada, et, sans vouloir m’abandonner trop à de si belles espérances, je me sentais léger comme une plume, je marchais sur des nuages, littéralement. Quoique je n’eusse que deux milles, tout au plus, à faire, il me fallut plus de temps que pour en franchir quatre, le tertre que j’avais à gravir étant semé de rochers, hérissé de bruyères. Au sommet, je fis halte. Si peu élevé