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britanniques pour faire sa visite à sa grand’mère, la reine Victoria, à Osborne. À dire vrai, l’empereur Guillaume a mis le temps à décider son voyage, à aller dans la famille de sa mère, l’infortunée veuve de l’éphémère empereur Frédéric III. Il a commencé par visiter toutes les cours de l’Europe. Il est allé à Peterhof, où il a peut-être trouvé plus de politesse que de sympathie. Il est allé à Vienne, où sa jeune présomption n’a peut-être pas toujours respecté le sentiment autrichien. Il est allé à Rome presque en empereur suzerain et il y a trouvé tous les hommages. Il est allé partout, chez ses alliés comme dans les petites cours d’Allemagne. Il n’était pas pressé, on le sent, d’aller en Angleterre. Il y avait vraisemblablement des souvenirs de scènes de famille, des froissemens intimes, auxquels il fallait laisser le temps de s’effacer ou de s’apaiser, et encore le jeune empereur n’est-il allé à Osborne qu’en visiteur privé, en évitant d’aller à Londres, de rechercher les réceptions officielles ; mais les premiers momens passés, et à part le caractère relativement privé de la visite de l’empereur, il est clair que rien n’a été négligé pour faire honneur à un des plus puissans souverains de l’Europe, petit-fils de la reine. On lui a offert le spectacle d’une revue de la flotte, du déploiement de la puissance navale de l’Angleterre dans les eaux de Spithead. On lui a procuré le plaisir de voir défiler les soldats anglais à Aldershot. Le prince de Galles lui-même a fait des frais pour son neveu impérial. Guillaume II a reçu le litre d’amiral honoraire de la marine britannique, et, à son tour, pour bien faire les choses, il a donné à sa grand’mère, la reine Victoria, le titre peut-être un peu imprévu de colonel d’un régiment de dragons de la garde prussienne. Bref, on s’était peut-être abordé avec un peu d’embarras, avec les souvenirs des drames de famille de l’an dernier ; on a fini par des effusions officielles au départ, par tous les témoignages extérieurs de la cordialité. Voilà qui est au mieux !

Après cela n’y a-t-il rien de plus ? Cette visite de famille n’aurait-elle point aussi quelque portée politique et n’y aurait-il pas eu dans l’île de Wight quelque négociation mystérieuse entre lord Salisbury, qui était auprès de la reine, et le comte Herbert de Bismarck, qui était du voyage, qui accompagnait son jeune souverain ? Les journaux allemands, qui voient tout eu grand et qui ne peuvent pas supposer que l’empereur se dérange pour rien, n’ont pas manqué de donner d’avance au voyage de Guillaume II la signification d’un événement des plus importans. Il y a des journaux anglais qui, eux aussi, se sont plu à voir dans la présence de l’empereur d’Allemagne à Osborne le signe d’un rapprochement politique. Peu s’en est fallu que l’Angleterre ne fût représentée dès ce moment comme disposée à entrer par des engagemens précis et décisifs dans la triple alliance. On a parlé de la coopération éventuelle de la puissante armée allemande et de la puissante flotte anglaise. Guillaume II lui-même a prononcé quelques paroles qui ont pu prêter à plus