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a pas eu, depuis quelques années, des gouvernemens pour les prévenir ou les réprimer.

Le mal est fait aujourd’hui, dira-t-on, il n’y a plus qu’à le réparer, en commençant par mettre hors de combat celui qui a troublé la paix publique. Soit, c’est l’affaire de la haute-cour. Qu’on prenne bien garde, cependant, que ceci n’est peut-être pas un accident fortuit et éphémère, qu’en peu de temps c’est la seconde explosion d’anarchie politique et morale qui se produit. Il y a deux ans à peine, c’était un autre procès, l’affaire Wilson, qui dévoilait de honteux trafics, des simonies, des marchés de faveurs publiques, auxquels le palais même du chef de l’état prêtait un asile, et dont tous les complices ne sont peut-être pas encore connus. Aujourd’hui c’est l’affaire Boulanger qui, avec d’autres nuances, sous une autre forme, révèle des troubles profonds, et le premier mouvement du pays est de voir dans ces explosions périodiques, dans ces accès de corruption publique le résultat naturel d’une désorganisation croissante de toutes les forces morales et administratives. L’affaire Boulanger n’est qu’un symptôme. L’homme peut disparaître, il peut du moins être singulièrement diminué par une condamnation. Ce sera, si l’on veut, un danger du moment écarté : qu’en sera-t-il de plus, si la situation reste la même, si les républicains, pour guérir le mal, n’ont pas d’autre secret que de s’obstiner dans leurs abus de domination, dans les passions de parti et de secte qui ont créé le danger ? Au fond, c’est de cela qu’il s’agit, et ce serait une étrange méprise de croire que le pays n’attend qu’une condamnation, qui est déjà d’ailleurs un fait accompli, pour se sentir rassuré, désintéressé dans ses griefs et ses mécontentemens, sous le bienheureux régime de la concentration républicaine qu’on lui promet encore. Si les récentes élections des conseils-généraux, que M. le ministre de l’intérieur Constans arrange à sa manière, ont un sens, elles prouvent au contraire que, sans s’inquiéter de M. Boulanger et de sa fortune, le pays reste ce qu’il est, que le mouvement instinctif de défense conservatrice qui s’est ravivé depuis quatre ou cinq ans persiste partout plus que jamais. Elles signifient que la France, sans appeler des révolutions nouvelles, demande avant tout une politique de modération et de prévoyance telle qu’elle n’en soit pas toujours à se débattre entre la menace des désorganisations radicales et la menace des aventures césariennes.

A voir comment tout marche en Europe, dans les autres pays comme en France, on pourrait se proposer un problème étrange et piquant. Si la paix, que tout le monde affecte de désirer, semble souvent si précaire, si tout ce qui touche aux affaires générales, aux rapports des peuples et des gouvernemens est l’objet de tant, de commentaires à perte de vue, de tant de préoccupations et de contradictions, quel est le secret de cette perpétuelle tension des choses ? Par qui la paix serait-elle donc réellement et positivement menacée ?