Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/941

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

émoustille le char, les chevaux empanachés, le cocher à la livrée noire, quand ils trottent au soleil, heureux de vivre, soulagés d’avoir gagné leur argent en désencombrant la terre d’un fardeau inutile. C’est pour monter la dedans que l’humanité se remue et se hâte si fort, par tous les moyens de locomotion que nous venons de passer en revue.

La partie la plus curieuse et la plus complète de cette exhibition a trait à la découverte des aérostats. Les documens réunis ici nous donnent bien l’impression de la secousse violente ressentie par l’imagination de nos pères, quand ils virent l’homme s’élever dans les airs. Pour peu qu’on se rappelle l’attente vague des esprits à cette époque, l’espérance diffuse, sans objet précis, qui agitait les cœurs comme une approche d’aurore, on estimera que ce prodige dut contribuer pour beaucoup à l’exaltation générale, et qu’il le faut compter parmi les stimulans du mouvement révolutionnaire, au même titre pour le moins que la première représentation du Mariage de Figaro. Ne présageait-il pas que toutes les lois du monde allaient changer, que rien ne serait désormais impossible à l’homme sensible et vertueux ? Pendant quelques années, tout est aux ballons, les arts, l’industrie, les modes, les jeux, les caricatures ; on en met partout, sur les pendules, les éventails, les assiettes, les coiffures ; Clodion leur emprunte le motif de groupes ravissans. Le meilleur témoin de l’émoi public est encore l’avis paternel que le gouvernement fit insérer en tête de la Gazette de France du mardi 2 septembre 1783 : « On a fait une découverte dont le gouvernement juge convenable de donner connaissance, afin de prévenir les terreurs qu’elle pourrait occasionner parmi le peuple… (Suit la description de la montgolfière.) Chacun de ceux qui découvriraient dans le Ciel de pareils globes, qui présentent l’aspect de la Lune obscurcie, doit donc être prévenu que, loin d’être un phénomène effrayant, ce n’est qu’une machine toujours composée de taffetas, ou de toile légère revêtue de papier, qui ne peut causer aucun mal, et dont il est à présumer qu’on fera quelque jour des applications utiles aux besoins de la société. » En dépit de l’admonition royale, on vit peut-être alors le spectacle auquel j’assistai il y a quelques années, dans une campagne de la Petite-Russie. Une montgolfière, lancée en plein jour, était allée s’abattre dans les prairies où des bergers gardaient leurs troupeaux. Ces enfans s’avancèrent tranquillement vers le météore ; ils quittèrent leurs chapeaux, se prosternèrent, firent le signe de la croix et se mirent à prier. Ils ne marquaient aucune terreur ; ils agissaient comme on doit faire quand on est favorisé d’un miracle ; ces cœurs simples montraient clairement que le miracle est pour eux une manifestation normale, toujours attendue.