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enhardis, hurlent : « À bas le tyran ! » L’un des plus discrédités, et l’un des plus compromis parmi « les scélérats et les fripons », dénoncés par Saint-Just, Tallien, qui sent encore sa tête sur ses épaules, mais sait bien que, s’il ne la joue pas en ce moment, il la perdra le lendemain à coup sûr, monte à la tribune : « Les conspirateurs sont démasqués. J’ai vu hier la séance des Jacobins ; j’ai vu former l’année du nouveau Cromwell ; je me suis armé d’un poignard pour lui percer le sein, si la Convention nationale n’avait pas le courage de le décréter d’accusation. » Hanriot, chef de la garde nationale, Dumas, président du tribunal révolutionnaire et d’autres suppôts connus de Robespierre sont décrétés d’accusation. Il est environ une heure et demie.

Robespierre est forcé dans ses retranchemens. Cependant il a affronté d’autres assauts de tribune et de plus redoutables assaillans. Il lui a suffi de parler pour que Vergniaud fût perdu et que Danton s’écroulât. Il occupe la tribune. Mais les temps sont changés. Robespierre a découvert le vide de son système. Il se fait autour de lui un recul instinctif. Les clameurs des montagnards retentissent de plus en plus profondément dans la plaine ; le remous gagne ces régions molles et jusque-là inertes. C’étaient les minorités qui décidaient auparavant dans tous les votes : la masse s’abstenait. Robespierre voit s’agiter devant lui une majorité formidable qui va se lever d’un instant à l’autre et tout emporter. Il se trouble. Ses ennemis cependant craignent encore son sophisme. S’il parle, il peut les faire proscrire : il ne parlera pas. Ils ont, pour l’en empêcher, un moyen brutal, mais efficace, celui que l’on a employé pour étouffer la voix de Louis XVI sur l’échafaud, le bruit. Ils vocifèrent, ils tapent, ils piétinent. Le président, Collot, aussi menacé au moins que Tallien, préside en complice. Il sonne avec frénésie. Saint-Just, impassible en apparence, assiste à cette rébellion des élémens révolutionnaires, stupéfait comme un thaumaturge qu’un phénomène imprévu de la nature dérouterait dans ses prestiges. Robespierre se débat et s’épuise en efforts ; hué par la montagne, il se tourne vers la plaine. Ces députés ont attendu l’événement pour prendre parti. L’événement est venu. Robespierre leur semble écrasé. Ils le condamnent. De guerre lasse, n’ayant plus de voix ni de souffle, Robespierre se résigne. Collot met aux voix la mise en accusation des deux Robespierre, de Couthon et de Saint-Just. Les triumvirs avaient dressé l’assemblée aux votes unanimes ; elle vote, à l’unanimité, leur proscription. Vers cinq heures et demie, la séance est suspendue.

Cependant Hanriot, dont la tête aussi est en jeu, se rappelle qu’au 2 juin il a fait reculer la Convention tout entière avec un seul commandement de : « Canonniers, à vos pièces ! » Il se lance