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trois agens en Angleterre. Un ancien diplomate, d’un esprit ouvert, Gaillard, écrivait d’Altona. Leurs rapports, joints à ceux de Grouvelle, à Copenhague, et de Parandier, à Leipzig, complétaient, sur les affaires d’Allemagne et de Pologne, un ensemble d’informations qui permit bientôt à Carnot de suivre et même de pressentir les grands mouvemens des coalisés.

Mais ces observateurs, gens circonspects par tempérament et par profession, ne répondaient nullement à l’esprit de l’arrêté de septembre. Ils renseignaient, ils n’agissaient pas. Deforgues eut l’ordre d’élaborer un plan plus vaste, plus révolutionnaire, plus conforme enfin, sinon au discours du 17 novembre, au moins à l’ensemble de la politique de Robespierre. « Les agens au dehors, dit un mémoire présenté au comité, ne doivent pas espérer grand fruit de leur mission, du moins quant à présent ; on ne peut compter qu’ils nous feront des amis. Les peuples ont le manteau du despotisme sur les yeux, et les événemens actuels ne sont pas faits pour le faire tomber. Mais s’ils ne nous font pas de bien, il faut qu’ils s’occupent de faire du mal à nos ennemis. » Des missions qui mêlaient l’espionnage, le prosélytisme, l’embauchage, la sédition, furent confiées, en conséquence, à une troupe d’émissaires, triés sur le volet, parmi les plus déterminés propagandistes des clubs. Ils étaient quarante-cinq à la fin de décembre. Leur nombre s’éleva jusqu’à cent vingt dans le cours de l’hiver. Leur correspondance est énorme, mais elle est consacrée presque exclusivement à la surveillance intérieure et à la propagande terroriste. Un très petit nombre de ces agens parvint à passer les frontières. Celles d’Espagne leur demeurèrent infranchissables. Plusieurs se répandirent en Allemagne : cinq ou six seulement ont laissé des lettres. Une trentaine partirent pour des destinations inconnues et n’écrivirent jamais. Les dépenses secrètes d’octobre 1793 à mai 1794 ne s’élèvent d’ailleurs qu’à 500,000 livres on assignats, et cette somme fut employée surtout à fomenter des agitations en France. Au fond, rien de suivi, rien de concerté, rien d’efficace en ces velléités de révolution cosmopolite.


III

Cependant l’essentiel, la défense nationale, s’accomplissait, entre les mains de Carnot et de ses collaborateurs, par l’effort naturel de la nation française. « La volonté générale est toujours droite et tend toujours à l’utilité publique, » avait écrit Rousseau. C’était l’axiome fondamental de sa cité utopique. « Voulez-vous, ajoutait-il, que la volonté générale soit accomplie, faites que toutes les volontés