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la carrière inespérée du grand-prévôt de franco. Mais ces succès même devaient faire sentir plus cruellement à l’orgueilleuse mère de François le regret de la mésalliance, et Suzanne de la Porte, jeune, pauvre, effacée, obligée de vivre sous la rude tutelle de sa belle-mère, ne fut pas heureuse.

De cette union assez mal assortie, naquirent cinq enfans : trois fils et deux filles. A la mort de François du Plessis-Richelieu, le 10 juin 1590, l’aîné de ces enfans, Henri du Plessis, avait environ dix ans ; le second, Alphonse du Plessis, avait six ans ; le troisième, Armand-Jean, avait cinq ans ; la plus âgée des deux filles, Françoise, avait douze ans, et la cadette, Nicole, en avait trois ou quatre.

Ainsi, la jeune veuve de quarante ans dut s’arracher aux espérances que la carrière si brillamment commencée de son mari avait pu faire naître en elle pour s’en aller, au fond d’une province éloignée, sous l’œil d’une belle-mère âgée et fière, dans le silence « de la vieille maison de pierres, couverte d’ardoises, » dont parle Tallemant des Réaux, se consacrer à la lourde tâche de la restauration de sa fortune et de l’éducation de ses enfans.

Le savant Le Laboureur raconte qu’au moment où François du Plessis, grand-prévôt de France, mourut, il était si pauvre qu’il fallut engager son collier de l’ordre pour subvenir aux frais de ses funérailles. Tous les contemporains qui ont su quelque chose de la famille des Richelieu constatent cette détresse. Mais presque tous aussi s’accordent II dire que, par sa prudence et son habileté, la fille de l’avocat de La Porte parvint à rassembler et à restaurer les débris d’une fortune que le malheur des temps et la mort prématurée de son mari avaient détruite.

La mère de Richelieu paraît avoir été une femme discrète, sage, modeste, toute préoccupée de la santé, de l’éducation, de l’avenir de ses enfans. Nous avons quelques lettres d’elle. On n’y trouve guère qu’une grande sollicitude pour tout ce qui touche aux siens. Elles sont teintes de mélancolie, écrites avec plus de naturel que d’orthographe.

Un poète contemporain compare Mme de Richelieu à « la colombe. » Il ne loue ni sa beauté, ni son esprit, ni son charme ; mais seulement à sa fidélité conjugale » :

D’un vœu plein d’humanité
Je donne la tourterelle,
Je donne la colombelle,
Portraits de fidélité,
A une dame loyale
Qui, de la foi conjugale
Tout l’honneur a mérité.