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réalité, et sur laquelle pèse la domination romaine, a cependant encore l’apparence au moins de la grandeur, grâce à un règne prospère et même brillant, mais surtout parce que la servitude de la Judée était couverte en quelque sorte par la fortune inespérée du judaïsme, qui s’emparait déjà à cette époque du monde grec.

Maintenant réussirai-je à faire adopter mon opinion à mes lecteurs ? Je n’ose y compter, car, sans parler de la puissance d’une idée depuis longtemps accréditée, la tradition a des sentimens religieux qui la protègent. Tel ministre protestant, même des plus libres, qui ne croira pas, par exemple, que les Prophètes aient réellement prophétisé, aura peine cependant à diminuer, en les rajeunissant, la vénération qui entoure leurs noms et leurs œuvres. Les Israélites, ayant peu de dogmes, ont par cela même une grande liberté ; mais ils ont aussi l’orgueil, d’ailleurs légitime, de leur religion et, de leur bible, et ils tiennent aux dates antiques de leurs livres comme à des titres de noblesse ; ils reprocheront à ceux qui penseraient comme moi de ne pas les respecter.

Je ne crois pas cependant que cette manière nouvelle de considérer les livres prophétiques les diminue. Quand on les reportait à une haute antiquité, l’idée qu’on pouvait s’en faire était bien confuse. Si on les croyait écrits avant les catastrophes qui mirent fin aux deux royaumes, et qu’on y supposait annoncées, on était tout à fait en dehors du rationalisme et en plein surnaturel. Si on les plaçait après la captivité de Babylone, le feu et la passion qu’on y sentait, l’orgueil et l’enthousiasme qui y éclatent, ne répondaient en aucune manière à la reconstitution lente, laborieuse et faible d’Israël. Au contraire, quand on les met au IIe siècle avant notre ère, tout est clair et tout est vivant. Les événemens qui se succèdent dans le cours si entraînant de vingt-cinq années, pleines des situations les plus émouvantes, donnent à tous les détails de la prophétie un sens et une couleur. Telle page même, toujours admirable dans toute hypothèse, comme le champ des ossemens dans Ezéchiel, est encore plus admirée et mieux sentie. On comprend que sous le coup de ces péripéties et dans l’enivrement de la victoire et de la liberté, la poésie soit éclose. On s’explique qu’il se soit élevé des voix dans lesquelles on entendait la voix collective de tout un peuple, et on ne s’étonne pas que ces écrivains qui parlaient pour tout le monde, et sans préoccupai ions proprement littéraires, aient imaginé de donner la parole aux Prophètes des temps antiques, qui, ceux-là, n’avaient rien écrit, mais qui avaient agi avec éclat et dont l’action remplissait l’histoire mythologique des vieux rois.

Un israélite français éminent, M. James Darmesteter, le répétait dernièrement : « Tout mouvement national produit un dégagement