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des annonces et aussi des lettres qui disaient : Ainsi a dit Cyrus, roi de Perse : Jéhova, le dieu du ciel, m’a donné tous les royaumes de la terre, et lui-même il m’a ordonné de lui bâtir une maison à Jérusalem en Judée, etc. » Il est clair que ce langage n’est pas du temps de Cyrus, mais d’une époque où les juifs étaient devenus assez considérables pour prétendre que c’était pour eux que tout se faisait dans le monde, et que tous les puissans étaient les serviteurs et les instrumens de leur Dieu.

Je conclus que le Cyrus du Second Isaïe est Hérode : Aggée et Zacharie l’avaient représenté sous le nom de Zorobabel ; un prophète, qui avait l’imagination plus vive, n’a pas jugé ce nom assez glorieux et assez royal, et il a trouvé un plus brillant parallèle. Tout le détail de ces versets s’applique alors à merveille. Nous savons ce que c’est que « ces trésors enfouis dans l’ombre. » Josèphe nous a renseignés sur cette immense opulence, amassée sans bruit par Antipater et qui éclata sous Hérode, son fils, à l’étonnement de tous ; sur ces richesses dépensées à profusion pour les chefs romains d’abord, puis pour son peuple, quand, après Actium, il se trouve plus riche que jamais par ses prodigalités mêmes (Antiquités, 15-6, 15-5)[1]. Et ce mot : « Tu ne me connaissais pas, » s’adresse on ne peut mieux à cet Iduméen, nullement dévot, dont la foi même était fort suspecte, qui avait failli être condamné par le Sanhédrin[2], qui, avec les Nations, avait pris d’assaut la ville sainte et ne prétendait pas alors agir au nom de Jéhova.

Un peu plus loin, Jéhova dit à son peuple (45-14) : « Le travail de l’Egypte, le commerce de l’Ethiopie et des Sabéens à la haute stature passera à toi ; ils t’appartiendront, ils marcheront à ta suite, ils défileront enchaînés, ils se prosterneront devant toi en supplians, disant : Chez toi seulement est le Fort, et il n’y a pas d’autre dieu. Oui, tu es le Fort qui te caches, le dieu d’Israël sauveur. »

Ce verset paraît faire allusion à l’expédition d’Hérode chez les Arabes, racontée par Josèphe (Antiquités, 15-5), où il fit tant de prisonniers et d’où il rapporta un si riche butin ; les Arabes transportaient en Syrie les marchandises de l’Egypte. Quant à cette formule d’un dieu caché, on sait quelle fortune elle a faite ; elle n’est ici qu’une nouvelle expression de l’étonnement qu’excitait la prospérité inattendue de la Judée.

Jéhova dit encore (46-11) : « De l’Orient j’ai appelé l’aigle ; d’un pays lointain j’ai fait venir l’homme de mes desseins. » On n’a vu

  1. Il revient sans cesse sur les richesses et sur les dépenses d’Hérode, qui firent pendant tout son règne l’étonnenment, non-seulement des Juifs, mais même des Romains.
  2. Josèphe, Antiquités, 14, 9, 4.