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Romains, Jérusalem avait été tout près de périr et le Temple avec elle. Mais Jéhova veille sur son peuple : « Ne crains rien, car je suis avec toi… Ne crains rien, Jacob, pauvre vermisseau (41-10-14). » Jacob est bien petit, mais Jéhova est si grand ! Aucun prophète jusque-là ne l’avait porté si haut : « Il pèse les montagnes dans ses balances… Les nations sont pour lui comme une goutte dans un seau… Tous les peuples sont comme rien devant lui : du néant et du vide (40-15)[1]. » — « Et à qui me comparez-vous pour le trouver semblable ? Lovez les yeux en haut et Voyez : il a créé les armées du ciel ; il les range on bon ordre ; il appelle chacun des astres par son nom et nul ne manque (40-25). » voilà comme le sentiment religieux s’est exalté, soit par l’effet du temps et le développement de la pensée, soit surtout par le spectacle des révolutions de cette époque, bien autrement étonnantes que celle par exemple qui a inspiré, dans une oraison funèbre, l’éloquence de Bossuet, puisqu’on avait vu à la fois deux antiques royaumes disparaître, et le monde tout entier bouleversé par les guerres civiles de Rome et l’avènement des Césars ; rien n’était plus fait pour rapetisser les hommes et grandir le dieu qu’on imaginait au-dessus d’eux. D’ailleurs, Juda a d’autant plus de confiance dans ce dieu que le judaïsme prenait alors de plus en plus possession des esprits et se faisait une plus grande place dans le monde. Le peuple juif n’a plus l’orgueil qu’on sent dans les prophètes de la fin du IIe siècle ; sous le poids de la puissance romaine, cette espèce d’orgueil n’était plus permis ; mais il en a un autre, que le Second Isaïe explique à merveille. « Voici mon serviteur, dit Jéhova (c’est Israël qu’il appelle ainsi) ; j’ai mis sur lui mon esprit, il donnera aux Nations sa justice. Il ne crie pas, il n’élève pas la voix, il n’ameute pas la foule ; il ne casse pas le roseau qui plie ; il n’éteint pas la mèche qui fume ; il enseigne la justice véritable ; il ne se lasse pas, il ne faiblit pas jusqu’à ce qu’il ait établi le droit sur la terre (42-1-4). » C’est comme s’il disait : Il ne conquiert pas le monde, il le convertit. Ce peuple, qui semblait si peu de chose, son dieu lui a communiqué sa grandeur ; il lui fait briser sous lui les montagnes (41-13), en ce sens du moins que le dieu les brise pour lui et à son profit. Ces montagnes, ce sont les deux grands royaumes qui étaient pour les juifs des ennemis à travers les siècles, l’Egypte et la Syrie. Jéhova dit à Israël : « J’ai donné l’Egypte pour ta rançon (43-3), » parole mémorable, et qui ne trouve son application qu’à ce moment de l’histoire, où la Judée semblait tout

  1. Et les faibles mortels, vains jouets du trépas,
    Sont tous devant tes yeux comme s’ils n’étaient pas.
    (RACINE, Esther.)