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était acclimaté depuis des siècles et jouissait parmi les lettrés d’une grande faveur. Il parut le subir de bonne grâce. Ce système pourtant lui était contraire ; la vieille religion y avait mis profondément son empreinte. Les jeunes gens y étaient nourris dans l’étude et l’admiration de ces beaux poèmes tout pleins des fables de la mythologie, qui les avaient mises en crédit à l’origine, et qui, par le charme du récit, leur conservaient encore quelque autorité. On pouvait donc dire, sans rien exagérer, que les professeurs étaient alors, encore plus que les prêtres, les défenseurs de l’ancien culte. Aussi avons-nous vu que Tertullien ne voulait pas qu’un chrétien fût jamais professeur. Il semble qu’il aurait dû, pour rester fidèle à lui-même, ne pas lui permettre non plus d’être élève. L’enseignement qu’un maître ne peut pas donner sans crime, comment un élève pourrait-il le recevoir sans danger ? Si ces noms de dieux et de déesses souillent la bouche qui les prononce, est-il possible qu’ils ne blessent pas l’oreille qui les entend ? mais ici, contre son ordinaire, Tertullien n’ose pas pousser son opinion jusqu’au bout. Il s’arrête au milieu du chemin et n’hésite pas à se démentir. Il souffre chez l’élève ce qu’il a interdit au professeur ; il ne lui paraît pas possible qu’on empêche un jeune homme d’aller à l’école, et la raison qu’il en donne mérite d’être rapportée : « Comment, dit-il, se formerait-il sans cela à la sagesse humaine ? comment apprendrait-il à diriger ses pensées et ses actions, la littérature étant un instrument indispensable pour l’homme, pendant toute sa vie ? » Tertullien, on le voit, n’imaginait pas qu’un jeune homme pût se passer d’apprendre les lettres humaines, ni qu’on pût les enseigner autrement qu’on le faisait de son temps ; aussi se résignait-il à l’envoyer dans des écoles qu’il n’aimait guère. Les autres docteurs de l’Eglise, même quand ils protestent contre cette nécessité, comme saint Augustin, et qu’ils en signalent le péril, n’osent pas proposer de s’y soustraire ; et voilà comment il s’est fait que l’ancienne éducation de la jeunesse, celle de Cicéron et de Quintilien, a duré autant que l’empire. La lecture d’Ennodius, un écrivain du VIe siècle, nous donne à ce sujet des renseignemens très curieux. Nous y voyons qu’au moment où les barbares étaient maîtres de l’Italie, pendant que Théodoric régnait à Ravenne, les écoles étaient ouvertes comme autrefois ; les grammairiens, les rhéteurs y faisaient les mêmes leçons, les élèves y traitaient les mêmes matières, rien n’y était changé, et au milieu d’une société, devenue toute chrétienne, l’enseignement restait tout païen. Parmi les sujets de déclamation que le maître donnait aux élèves, je trouve celui-ci, qui remontait sans doute à plusieurs siècles : « on accusera un homme qui s’est permis de porter une image de