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seuls, à peu près, pourront tenir croisière sans relâches fréquentes, et battre les mers d’une manière continue.

Je ne prétends pas dire que tous nos paquebots pourront continuer leurs opérations commerciales : aucune nation ne saurait se flatter de cet avantage, à moins de former des convois protégés par de véritables escadres de croiseurs, et ce moyen ne semble guère à la disposition que de la seule Angleterre. Je crois seulement que les paquebots-poste pourront y parvenir, à condition de modifier leurs routes ordinaires, trop connues des navires de guerre, et que les autres, moins rapides, réussiront à gagner sans encombre soit une de nos colonies, soit un port neutre.

Les guerres modernes sont assez courtes pour que cette dernière solution d’une question délicate puisse satisfaire une nation dont ni la vie quotidienne, ni les intérêts essentiels, ne sont suspendus aux arrivages de ses navires.

Mais la difficulté, pour ne pas dire l’impossibilité, de protéger nos paquebots dans les régions exotiques n’est pas la seule conséquence fâcheuse de la transformation de nos types de croiseurs. Concentrés désormais dans les eaux d’Europe, au moins dans l’Atlantique nord, ces navires vont-ils donc laisser les vapeurs ennemis opérer en toute sécurité leurs transactions commerciales de l’autre côté de la terre ?

Je pourrais dire qu’il importerait assez peu, si nous réussissions à barrer, en fin de compte, à ces paquebots le chemin de la métropole. Mais le moment est venu sans doute d’élargir le débat et de discuter les avantages, sinon de la guerre de course, qui nous est désormais interdite par les traités, du moins de la guerre des croiseurs.

Dans l’examen des chances diverses que nous offre un conflit avec une puissance exclusivement maritime, l’Angleterre par exemple, quelques officiers de mérite, et surtout nombre de personnes étrangères à la marine, ont cru pouvoir préconiser cette méthode de guerre à l’exclusion de toute autre.

On a rappelé avec complaisance qu’en huit années, de 1793 à 1801, la marine marchande anglaise avait perdu 2,500 navires, non pas capturés, mais naufragés pour la plupart ; on a négligé de dire que, dans cette même période, les croiseurs anglais nous avaient enlevé un nombre égal de bâtimens ; on a surtout oublié de reconnaître que, si ce chiffre ne représentait qu’une partie de l’outillage maritime du commerce anglais, il donnait en revanche la totalité du nôtre.

Pour réduire la Grande-Bretagne à merci, ajoute-t-on, c’est assez de l’atteindre dans cette énorme flotte marchande qui draine