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allégé de tout son combustible se trouve dans des conditions de stabilité aussi fâcheuses pont la navigation que pour le combat ; enfin aucun capitaine ne se souciera d’atterrir en brûlant sa dernière briquette, « en grattant ses soutes, » au risque de trouver au dernier moment un vent contraire qui le rejette au large, au risque de devenir le jouet des caprices de la mer.

Ainsi, tandis qu’un navire anglais trouverait sur cette route des dépôts de charbon espacés de 2,000 milles au plus, distance toujours franchissable, même à grande vitesse, pour les croiseurs récens, un navire français aurait à parcourir avec ses seules ressources une distance plus que double et serait, en atterrissant, à la merci de son adversaire, arrivé plus tôt que lui et pourvu en abondance de tous ses moyens d’action.

C’est là un élément de supériorité incontestable et que le premier lord de l’amirauté, sir Georges Hamilton, ne manquait pas de signaler tout dernièrement à l’attention du parlement anglais.

Je ne dis rien du passage du canal de Suez, que je suppose réellement neutralisé, supposition sans doute bien gratuite.

La distribution de nos colonies, considérées connue bases d’opérations secondaires, est donc défectueuse, et nous avons depuis longtemps laissé prendre à l’Angleterre toutes les positions favorables.

L’organisation de ces établissemens est-elle du moins en état de satisfaire aux besoins des escadres modernes et, pour préciser, d’une division de croiseurs tels que nous les construisons en ce moment ?

Le temps n’est plus où l’on trouvait partout les élémens essentiels au ravitaillement et au réapprovisionnement des bâtimens de guerre : de l’eau douce, du biscuit, des cordages, des bois, des toiles, de la poudre et des boulets ronds ; c’est tout autre chose qu’il nous faut aujourd’hui : c’est de la poudre prismatique expressément fabriquée non-seulement pour tel modèle d’artillerie, mais encore pour tel calibre de bouche à feu ; ce sont des boulets d’acier ayant une certaine trempe, des formes particulières, un montage et un ajustage parfaits, des obus chargés avec des substances explosives d’une manipulation fort délicate ; ce sont encore des cartouches spéciales et pour les canons à tir rapide, et pour les canons revolvers, et pour les fusils ; ce sont des pièces de rechange façonnées au dixième de millimètre pour les torpilles, et des torpilles elles-mêmes avec leurs charges de fulmi-coton, pour remplacer celles que l’on aura lancées, heureux encore si ces torpilles se trouvent de calibre pour les tubes du croiseur ; c’est enfin pour toutes les armes, pour tous les engins mécaniques, hydrauliques, électriques, un outillage délicat qui ne s’est guère aventuré