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s’y opposent absolument, et ce n’est là, pour les officiers de vaisseau, qu’une des moindres raisons de se défier de la voie dans laquelle est engagée l’artillerie navale.

Débarquer des hommes, il n’y faut pas songer davantage : la tendance à la diminution des effectifs est générale : on semble accorder ainsi aux appareils mécaniques, aux appareils hydrauliques en particulier, une confiance qu’ils ne justifieront peut-être pas, et considérer les opérations d’une guerre maritime comme réduites à une seule rencontre…

Il faut donc que les escadres qui opéreront dans les mers loin-laines y trouvent des bases secondaires déjà organisées, déjà pourvues de charbon, d’approvisionnemens, de munitions et des objets de rechange indispensables ; des places du moment convenablement fortifiées et où nos équipages soient assurés de goûter quelque repos. Dès lors ce sont nos colonies seules qui peuvent nous procurer ces avantages. Eh bien ! ces établissemens sont-ils distribués, sont-ils disposés de manière à remplir un rôle aussi important ?

Revenons à cette route de l’extrême Orient qu’il nous importerait tant de jalonner, et occupons-nous d’abord de nos dépôts de combustible. D’Obock à Saigon il faut compter 5,300 milles marins : nous avons bien, dans le sud de l’Hindoustan, les relâches de Mahé ou de Pondichéry ; mais, en cas de conflit avec l’Angleterre, ces points seraient immédiatement occupés par nos adversaires.

Quels sont donc les navires capables de franchir sans relâcher cette énorme distance de 5,300 milles ? éliminons d’abord les cuirassés, bien éloignés qu’ils sont de porter dans leurs flancs le stock de charbon nécessaire : d’ailleurs, l’importance prépondérante des opérations en Europe les retiendra toujours dans nos eaux. Les anciens croiseurs mixtes pouvaient, en marchant à la voile et à la vapeur, en profitant des moussons, résoudre assez économiquement ce problème. Il n’en serait pas ainsi des croiseurs nouveaux, que nous privons de toute voilure ; je sais que ces navires, s’ils développent de grandes vitesses, au prix de grandes dépenses de combustible, peuvent aussi marcher à une allure ralentie et relativement économique. Mais, sans parler des inconvéniens de l’ordre militaire qui résulteraient de la lenteur de leur marche, la capacité de leurs soutes ne leur permettrait pas de franchir ces 5,300 milles. Il ne faut pas perdre de vue, en effet, que dans la pratique de la navigation, et surtout en temps de guerre, on ne doit jamais considérer la provision de charbon embarquée à bord comme totalement disponible. Une notable partie de ce charbon joue un rôle défensif essentiel en protégeant les chaudières, la machine, les soutes à poudre contre les projectiles ennemis ; de plus, un navire