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rapide, et que la flotte italienne allait recevoir le choc de l’escadre impériale après avoir dépensé pendant deux jours une grande partie de ses forces dans une lutte stérile.

En effet, quand, le matin du 20 juillet, l’aviso Esploratore signala l’approche de l’escadre autrichienne, l’armée de Persano était dispersée ; un de ses meilleurs cuirassés, le Formidabile, très éprouvé la veille par le combat qu’il avait soutenu contre les batteries de San-Giorgio, se retirait sur Ancône ; un autre, le Terribile, ne devait rejoindre sa division qu’à la fin de la bataille ; les soutes à combustible et à munitions étaient déjà fort entamées ; enfin, les équipages restaient sous l’impression fâcheuse d’un premier échec.

Nous n’entreprendrons pas, après tant d’autres et de plus autorisés, d’écrire une relation de la bataille de Lissa : cette étude, si intéressante qu’elle fut, nous entraînerait au-delà des limites de notre cadre. On nous permettra pourtant de saisir l’occasion de rectifier, une fois de plus, une erreur de fait longtemps acceptée par le public, sinon par les gens du métier : ce n’est pas le vaisseau en bois le Kaiser qui coula, en employant le choc, la frégate blindée Re d’Italia, c’est le cuirassé Ferdinand Max, commandé par M. de Sterneck, et où Tegetthof avait arboré son pavillon.

Cette confusion s’explique assez aisément quand on lit les premiers récits de cette mémorable rencontre : l’amiral autrichien, pour ne citer que lui, insiste sur les brillantes manœuvres du Kaiser, qui, entouré par plusieurs cuirassés italiens, n’avait pas hésité à se jeter sur l’un d’eux, le Re di Portogallo, pour prévenir justement le choc de cette frégate. Il s’en fallait, d’ailleurs, que les résultats de ce coup de vigueur fussent semblables à ceux qu’avait obtenus le Ferdinand Max ; sans doute le Kaiser avait réussi à se dégager, mais son étrave et sa guibre s’étaient écrasées sur les flancs bardés de fer du navire italien ; son beaupré, son mât de misaine, sa cheminée étaient brisés… Le Re di Portogallo, au contraire, n’avait subi que des avaries insignifiantes.

Quoi qu’il en soit des incidens d’une lutte où les deux partis déployèrent une valeur égale, sinon une égale habileté, il faut reconnaître que la flotte de Persano était, dès le principe, mal engagée. Presque toujours une première faute en entraîne d’autres à sa suite ; à la guerre, en tout cas, les erreurs tactiques découlent souvent d’une erreur stratégique. Les Italiens avaient perdu de vue qu’avant d’entreprendre une opération secondaire, — un siège maritime surtout, — il fallait mettre hors de couse l’armée principale de l’ennemi ; l’escadre autrichienne se chargeait, dans la bataille du 20 juillet, de punir cet oubli du principe essentiel de la stratégie navale.