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toujours d’atteindre et de détruire cette escadre qui, seule, lui disputait la domination de l’Adriatique ; et la poursuite de cet objectif était, au début des hostilités, d’autant plus facile que la mobilisation des forces autrichiennes, paralysée par les embarras financiers du gouvernement impérial et par la faiblesse des ressources de l’arsenal de Pola, subissait de très longs retards.

Cependant au début de la campagne, aucun ordre catégorique ne fut donné à l’amiral italien pour se porter rapidement sur Pola et y forcer l’escadre autrichienne, hors d’état de résister à une attaque brusquée, si elle était menée avec quelque vigueur.

Ce ne fut que le 13 juillet, vingt jours après Custozza, que l’amiral Persano. Ce retour à Ancône, après une timide croisière de cinq jours au large, reçut du major-général La Marmora une lettre qui, dans des termes plus énergiques que précis, il le faut avouer, le poussait vivement à renoncer à sa prudente attitude :

« Ce matin, écrivait le chef d’état-major du roi Victor-Emmanuel, le conseil a été unanime à déplorer que la flotte n’ait pas encore trouvé le moyen d’agir énergiquement contre l’ennemi ; c’est pourquoi, au nom de Sa Majesté, je vous donne l’ordre péremptoire que cet état de choses ait à cesser au plus tôt…

« Le ministre de la marine me charge de communiquer à Votre Excellence que, si la flotte continuait à rester inactive, il serait dans la pénible nécessité de vous en retirer le commandement, pour le confier à des mains sachant mieux profiter d’un élément offensif qui a coûté tant de sacrifices et qui a fait naître de si justes exigences. »

C’était fort bien dit ; mais il n’y avait là ni plan, ni vue d’ensemble, pas même une indication qui pût fixer les irrésolutions du commandant en chef de l’armée navale sur le genre d’opérations que l’on attendait de lui. Cette marine, créée de toutes pièces et à si grands frais, on ne savait, le moment venu, comment l’employer !

La dure lettre dont nous venons de citer quelques passages n’avait cependant pas suffi pour vaincre les appréhensions de l’infortuné Persano : le 16 juillet, il voyait arriver à Ancône le ministre de la marine, l’avocat Depretis, qui lui renouvelait l’ordre absolu de « faire quelque chose, » sommation funeste que nos généraux recevront à leur tour quatre ans plus tard. C’est alors que l’amiral italien fit accepter l’idée de réduire l’île fortifiée de Lissa par une attaque combinée entre la flotte et une brigade de l’armée. Entreprendre une telle opération avant d’avoir battu Tegetthof, c’était une lourde faute dont les conséquences devaient bientôt apparaître d’autant plus dangereuses que l’on avait négligé les mesures propres à donner à l’attaque de Lissa le caractère d’un coup de main